vendredi 18 juin 2010

la sagesse africaine par les proverbes

méditons sur ce quelques proverbe africain :
1- L'endroit où le pigeon se lave souve, ce n'est pas difficile de le capturer.
Hermeneutique : ce proverbe a deux parties : l'endroit où le pigeon se lave souvent. cette proposition principale symbolise tout ce que l'homme fait par habitude. En effet, l'homme comme animal raisonnable, a forgé un type de comportement qu'il a intériorisé au point qu'il peut finir par en être prisonnier. Prisonnier quand il ne veut plus faire appel à cette raison qui remet tout en cause. Ainsi donc, son habitude devient une partie intégrante et stable de lui-même à telle enseigne qu'on peut prévenir son comportement et le piéger sans difficulté aucune. Ainsi, l'homme cesse d'être homme et devient une machine qui ne peut plus changer son comportement ; dès lors, l'homme est perçu comme une entité toute faite et à laquelle plus rien n'est possible.
La deuxième partie : il n'est pas difficile de le capturer. Quand l'habitude perd sa rationalité, l'homme devient un être figé, programmé de sorte que son comportement est déjà connu d'avance et les moyens pour le maîtriser son déjà mis sur place. Là, il ne peut que tomber dans le piège qu'on peut lui tendre.
Pour être plus clair, prenons l'exemple de quelqu'un qui aime boire de la bière dans un bar bien précis et à une heure bien précise. Il intéroirise ce comportement de sorte qu'il devient mécanique. Et si ses ennémis le savent, ils peut venir lui tendre une embuscade et le prendre. C'est ce qui arrive souvent quand les bandits arrivent dans une concession, ils savent qu'à telle heure, tout le monde est déjà couhé, et ils peuvent opérer tranquillement ceci parce que le comportement est devenu mécanique.

L'homme est donc appelé à faire poreuve de mlobilité et de rationalité dans son comportement. Il devient "ondoyant et divers" et ainsi il pourra être différent des animaux qui ne peuvent pas changer le cours des évènements. Sans cette imprévisibilité, l'homme ne serait plus homme, il serait plutôt semblant d'homme. L'homme est appelé à semer le doute sur lui-même et sur ceux qui semblent croire le connaître vraiment.

Philosophiquement, il s'agit ici de l'eesence et de l'existence de l'homme. Nous pensons que l'homme a une essence mais qui n'est pas figée, donnée une fois pout toutes ; elle se constriut au fil des jours et des évènements. Son existence procède de ce qu'il a le pouvoir de manier, rectifier son comportement à sa volonté s'il est vraiment déterminé. En fait, il s'agit de montrer que l'homme doit être différent de l'animal par sa raison. Autrement, s'il ne peut changer le cours des évènements, il tombe dans le fatalisme et ne peut que dire : ce fut la volonté de Dieu bien que ne l'ayant pas connue d'avance.
L'homme doit être différent des animaux pour qu'on puisse le qualifier de raisonnable, et cette raisonnabilité se justifie par son imprévisibilité. Il doit se laver à l'endroit où on ne l'attend pas .

dimanche 6 juin 2010

"LE TCHAM HA SI" Comme EXPRESSION DE COMMUNION

INTRODUCTION

L’homme est cet animal raisonnable qui sait surtout sentir le plaisir et se faire plaisir. Dans l’expressivité de son plaisir l’homme utilise le plus souvent son corps, notamment au moment de la danse. Qu’est-ce-que la danse ? « Dans son acception la plus générale, la danse est l'art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l'espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique »[1]. Qu'elle soit spontanée ou organisée, la danse est souvent l'expression d'un sentiment ou d'une situation donnée, et peut éventuellement s'accompagner d'une mimique destinée à la rendre plus intelligible. Qu’en est-il du cas particulier d’une danse propre à une culture donnée comme le « Tcham ha si » ?
Le « Tcham ha si » est une danse joyeuse pratiquée par les populations de certains villages de l’ouest Cameroun. Littéralement, le nom « tcham ha si » veut dire « cogne vers le bas ». Non pas en signe de colère, mais de joie, de plaisir et de jubilation commune. Il est principalement fondé sur les pieds qu’on exécute en harmonie avec tout le reste du corps. Vue dans son originalité traditionnelle, la danse « tcham ha si » exprime une harmonie et une beauté de l’être ensemble qui résulte d’une longue préparation prenant en compte les personnes, les objets et surtout un enchainement qui porte à l’acclamation de tous. Notre recherche veut mettre en exergue quelques points saillants qui expriment progressivement la philosophie de communion qui fonde la danse « tcham ha si » et culminent à la jubilation de tous à un moment précis de la danse.
Nous observerons de ce fait un plan tripartite composé d’une approche propédeutique, suivie de la présentation des expressions de communion et enfin de sa complexité dynamique.


I. APPROCHE PROPEDEUTIQUE AU « TCHAM HA SI »

L’originalité de la danse « tcham ha si » relève à la fois de son exécution, mais surtout de toutes les étapes préparatoires qui entrent en ligne de compte. Le sérieux déployé dans cette préparation dépend de la notabilité de l’autorité traditionnelle devant qui la danse sera faite. Dans le cas présent, il nous semble idoine de présenter quatre moments propédeutiques au « tcham ha si » royal en tant que version la plus soignée.

I.1. La constitution des membres du groupe danse

La danse « Tcham ha si » fait partie des danses populaires joyeuses exécutées à l’occasion de grandes festivités. Il va sans dire que c’est toute la population du village qui est appelée à danser le « tcham ha si ». Mais pour les besoins d’ordre et d’expressivité précise et harmonieuse, on constitue un groupe de danseurs chargés de représenter le peuple devant le chef à qui l’on veut communiquer la joie de tous. Ceux qui font partie du groupe de danseur sont des personnes bien en santé physique et morale, capables de parler pour eux-mêmes et pour tous les autres, capables aussi de produire des gestes qui suscitent la joie, l’admiration et l’acclamation de tous, surtout celle du chef du village.
La philosophie qui règle l’acceptabilité de la constitution du groupe de danseurs, tant de la part des sélectionnés que de celle du reste du peuple est celle de la communion et de la représentativité voulue, entretenue et mutuellement partagée par tous. L’importance d’une telle philosophie est fondamentale car c’est elle qui détermine l’engagement de tous et la qualité de la danse finale. Fort de cette conception commune, personne ne se sent exclue ou plus valorisée ; tous ont le sentiment de se donner à fond : le groupe de danseurs compte sur la présence et le soutien effectif de la population qui en retour compte aussi sur le groupe qui danse selon la volonté de tous. Il y a alors une harmonie et une communion de dépendance entre les deux parties d’un même peuple qui se mobilise un peu différemment pour communiquer sa joie d’être un peuple unie élégamment à son chef.
Cet esprit de communion se voit aussi dans la répartition des tâches préparatoires à la danse : le groupe de danseurs se charge de la préparer les instruments et autres matériels en plus des séances de répétition ; le reste du peuple assure la propreté des tenues vestimentairee.

I.2. La sélection des instruments et autres matériels

Il peut arriver de nos jours que nous voyons des personnes danser le « tcham ha si » en utilisant des instruments électroniques plus ou moins sophistiqués. Ce qui n’est pas hors de propos si et seulement si le rythme original est posé et élégant. Mais à l’origine, la danse « tcham ha si » se contentait de quelques instruments pour livrer toute sa beauté. L’usage des castagnettes, des bracelets métalliques à billes, de la flute traditionnelle et exceptionnellement du tam-tam suffit. Il n’y a pas lieu d’utiliser le balafon ou tout autre instrument de musique dont l’usage normal produit beaucoup de bruit.
Le pourquoi de cette limitation dans la sélection des instruments à utiliser pour soutenir le rythme s’explique du fait que le principal instrument pour danser le « tcham ha si » est le corps humain. Kemleu Tché-tché abonde dans le même sens quand il affirme que « dans le tcham ha si, c’est la beauté de la personne humaine, sa dignité et sa capacité à communiquer les messages de paix et de tolérance qui sont valorisées »[2]. Il y a donc une dimension anthropologique et humaniste qui s’en dégage et que nous allons y revenir par la suite. Remarquons dès à présent la noblesse de cette danse. Une noblesse qui n’accepte la présence d’instruments extracorporels que pour soutenir le rythme. En d’autres termes, il ne peut à proprement parler pas y avoir de « tcham ha si » purement instrumental où l’on se contenterait de s’assoir et d’écouter les sons.

I.3. les séances de répétition

Quoique la danse « tcham ha si » soit si populaire et bien encrée dans les habitudes, il n’est pas superfétatoire que le groupe de danseurs sélectionnés consacrent un temps considérable à des séances de répétition. Il est question ici de s’assurer que tous sont bien en formes et qu’ils s’harmonisent bien tant dans leurs pas de danse, dans leurs mimiques que dans leurs déplacements d’ensemble qui doit représenter certaines formes bien précises.
La nécessité de la répétition s’explique aussi par le fait que les personnes qui constituent le groupe de danseurs ne sont pas toujours les mêmes d’une festivité à une autre. Autant que faire se peut, la chance est donnée à tous les membres du village qui peuvent représenter valablement le peuple en dansant aussi bien que souhaité par tous. L’esprit de solidarité qui caractérise la culture des peuples qui forment les bamilékés pousse naturellement les danseurs à alterner leur engagement dans la dynamique de la danse « tcham ha si ». Ainsi, il est tout à fait naturelle pour un danseur de passer alternativement du groupe représentatif de danseur à celui du peuple qui soutient le groupe de danseur.
I.4. La tenue vestimentaire et le jeu des couleurs

Le choix de l’uniforme traduit aussi à sa façon tout l’esprit d’harmonie et de communion qui fonde l’être ensemble chez les peuples danseurs du « tcham ha si ». En général, les couleurs rouge, blanche, noire et bleu sont réservées à des situations spécifiques de la vie humaine. Il ne sied pas de les choisir pour en faire la tenue vestimentaire et représentative des danseurs. C’est plutôt un tissu bigarré et reproduisant une harmonie de formes, de figures, ou tout autres objets de la nature pacifique qui est mieux indiqué pour vêtir les danseurs.
Le symbolisme du choix de la couleur est hautement significatif. Personne ne souhaite être orphelin comme l’indique le noir, ni veuf pour le bleu, encore moins violent et dangereux pour le rouge, et en aucun cas être mort pour le blanc. C’est plutôt la communion vécue entre les personnes et la nature et représentée dans les dessins du tissu qui est préférée pour dire ce que pense le peuple au moment d’exprimer sa joie d’être uni à son chef. La tenue vestimentaire exprime donc la vie, tout comme le jeu des couleurs ou des formes qu’elle représente. Une vie qui se donne davantage à voir au moment de la danse officielle.

II. LE « TCHAM HA SI » ET SES EXPRESSIONS DE COMMUNION

Toute la préparation au « tcham ha si » culmine vers une extériorisation solennelle le jour de la danse officielle devant le chef du village de qui on attend une réaction joyeuse en retour. Il est question d’une manifestation très noble où nous distinguons l’entrée en scène, la plasticité corporelle, l’originalité des expressions et l’acclamation commune.
II.1 Entrée en scène et harmonie du rythme
Il y a une logique interne à observer pendant l’exécution du « tcham ha si ». Selon les artistes[3], nous constatons que les uns privilégient la parole, d’autres le son instrumental, mais jamais le silence, encore moins la spontanéité désordonnée. Si le musicien Talla André Marie use au début de son « tcham ha si » de la parole impérative, de l’exclamation suivie d’une suite de notes instrumentales doublées, Tché-tché Bernard quant à lui préfère commencer son « Meuteu-cogni » par un son poétique et lyrique accompagné de gestes évocateurs qui ne désignent pas directement une réalité objective et palpable. Observons par exemple :
Talla commence par :
« Ben skin … aha,
Tcham !
Neugneu dada ! Neugneu dada !
Ben nam ! »
le tout suivit du double son instrumental « Tantan »
répété six fois puis fini par « tantantant »

Tché commence par :
Un son doux instrumental suivi de plusieurs gestes de la main à l’attention des autres danseurs complété par la chanson suivante :
« Wéé ha,
wéhé hahaha, wo’ o ho !
Ha ha ha !
wohoho i yo ho !
hoy yo ! »
La première parole directement significative utilisée ici est une invitation à être ensemble et à célébrer l’entente appelée le « cougnieu ».
L’originalité qui se dégage dans la différence d’approche du « tcham ha si » chez ces deux musiciens c’est la douceur du rythme que produisent les instruments de musique utilisés. Il y dégage une harmonie réelle entre les sons, les danseurs et les spectateurs dès le début même de la danse, ce qui est source de plaisir et de communion qui va aller en s’amplifiant à mesure que le « tcham ha si » se déploie.
D’après la classification des Tierou qui regroupe les différentes danses africaines en quatre catégories[4], le « tcham ha si » ne serait pas une danse acrobatique, ni une danse rapide, mais il serait une synthèse des danses lentes et des danses basés sur le mouvement d’ensemble.

II.2 Plasticité corporelle et symbolisme des formes

La danse « tcham ha si » exige une souplesse et une plasticité corporelle capable de reproduire des formes géographiques et des postures physiques peu habituelles. En même temps, vous devez vous recourber très profondément et exécuter des mouvements en sens parfois inverses de celui du tronc tout en restant dans la figure tracée par tous les danseurs. Du fait que le « tcham ha si » n’est pas une danse solitaire, il ne sied pas que chacun des présents, envoûté par le rythme danse pour soi et s’exprime comme il peut dans sa petite espace. Il est question d’un être avec l’autre où se vit l’être pour soi dans l’être avec les autres.
Il faut noter la noblesse des mouvements d’épaule, des mains et quelquefois de tout un côté latéral. Leur présentation au chef se fait en biais tout simplement par respect et par souci de lui inspirer l’esprit joyeux qui motive à la danse. La danse « tcham ha si » permet aussi des mouvements de pied qui, à bien les observer, dessinent de petites paraboles ouvertes et latérales qui sont comme des reproductions en miniature de la grande figure parabolique renversée que représente l’ensemble des personnes présentes.
En effet, le « tcham ha si », vue du point de vue de la schématique mathématique, ne saurait représenter une tangente de l’ordre de l’équation f(x)=x2. Cette danse reproduit plutôt une parabole convergente qui a pour abscisse les assises du chef et sa suite. La révolution de la courbe parabolique étant à la fois incarnée en externe par la foule et en interne par le groupe de danseurs. Cette grande figure symbolisant une parabole convergente incarne à sa façons déjà l’esprit de communion qui caractérise les peuple qui dansent le « tcham ha si ».
II.3 Socialité et convivialité des expressions

Outre la simplicité des expressions des paroles du « tcham ha si » quand le meneur de la danse les prononce pour célébrer la vie et tout ce quelle contient, il y a aussi des affirmations et des désignations hautement symboliques qui rendent compte des sensations esthétiques dont la compréhension exige une démarche métaphysique. C'est-à-dire ce n’est pas seulement ce que nous voyons qui est porteur de joie, mais c’est aussi tout l’arrière fond culturel fondé sur la communion de vie et la communicabilité des sensations qui se déploie.
Le musicien Talla chante la complémentarité dans les occupations quotidiennes entre les femmes et les hommes. Il rapproche les deux groupes pour dire le bonheur de vivre ensemble.
« Quand nous allons au champ chercher le bois,
Les femmes y allaient aussi mais pour ramener de la nourriture ;
Quand nous allions au marché vendre les chèvres,
Les femmes y allaient aussi vendre les tubercules, etc. ».

Quant au musicien Tché-tché le « tcham ha si » est pour lui le moyen pour inviter à une vie s’entente à tous les échelons de la vie humaine.
« Chantez avec moi, chanter pour l’entente et soyez les bienvenue,
dansez avec moi et mangez de la viande, c’est ma parole,
soyez confortablement assis et buvez du vin, je vous aime !
Mourir pour la cause de l’entente c’est dormir pour moi ! etc. ».

C’est à force de répéter de telles paroles douces et conviviales que l’ambiance générale se détend progressivement et finalement tous ne font plus qu’un dans les mouvements et l’expression de joie qui se dégage des visages. Quand le chef se joint à cette joie, on peut alors parler véritablement d’une acclamation cummune.
II.4 « Communication par sympathie immédiat »

Le danseur du « tcham ha si » s’intériorise, il est concentré durant toute la partie et attentionné aux autres, surtout à la plus grande personnalité présente, en l’occurrence le chef du village. Le danseur se meut sur la piste en faisant appel à tout ce que la danse comporte de caressant, d’aimable, d’onduleux, de beau, de gracieux, d’harmonieux et de spirituel, à la fois. Comme le pense Tierou au sujet de la danse vitale africaine, « on a l’impression qu’une force intérieure jaillissant du centre du cœur de l’acteur, s’empare de des membres, de son torse et de sa tête »[5]. A ce moment le danseur peut même fermer les yeux pour ne laisser parler que ses membres et ainsi entrainer les autres observateurs à l’acclamer et à danser à leur tour dans le même rythme.
A un certain moment de la danse, le plus souvent après que tous les couplets convenus aient été déjà chantés et que le refrain principal seul est exécuté continuellement, nous constatons une liesse populaire où danseurs désignés, membres de la réunion et toute la population présente vibrent au même rythme. C’est « une communication par sympathie immédiate » pour penser comme Alphonse Tiérou[6]. C’est là l’expression manifeste de la communion et de la joie ; C’est en fait la finalité recherchée par cette danse, celle de communiquer la joie et d’inviter les uns et les autres à être à leur tour des promoteurs de joie. La réponse du chef, qui manifeste aux yeux de tous sa communion avec tous, se fait soit par des battements de mains, soir par le balancement large de la queue du cheval soit par l’esquisse de quelques pas de danse, ce dernier geste étant l’expression de la plus grande satisfaction.
III. LA DANSE « TCHAM HA SI » : UNE DYNAMIQUE COMPLEXE

La portée philosophique de la danse « tcham ha si » est multiple tant du côté positif que de celui encore à recentrer. Outre son apport social, il y a lieu de noter en elle sa dimension synthétique qui intègre les valeurs pluridisciplinaires comme nous allons le présenter succinctement ci après.
III.1. Le « Tcham ha si » : une dynamique pluridisciplinaire

Il n’est pas facile de cerner toute la complexité des richesses que recèle la danse « tcham ha si ». A partir de toute notre démarche précédente nous pouvons isoler quelques points selon certaines disciplines :
-Du point de vue de la socio-anthropologie et de l’esthétique, nous notons que la danse « tcham ha si » est une école de socialité qui justifie à sa façon l’animalité sociale de l’homme comme le pense Aristote. De plus, cette socialité n’admet aucune place à l’individualisme. C’est quand on danse avec les autres qu’on se réalise. De ce fait, l’appréciation esthétique de la laideur n’est ni dans le débordement de la matière par rapport à la forme comme le pense Plotin, ni dans le flou de « ces choses pénibles, épouvantables et dégoutantes »[7] de la vie humaine comme c’est le cas chez Nietzsche, encore moins dans une quelconque malformation congénitale ou accidentelle. La laideur esthétique dépourvue de toute beauté c’est l’incapacité à un homme à danser avec les autres pour célébrer la communion de vie et de partage de tous les jours. Une laideur qui se mesure physiquement dans l’espace et le temps parce que vous ne faite pas corps avec les autres. Dans ce sens le cogito de Descartes « je pense, donc je suis » ne devrait pas s’inculturer et s’arrêter seulement à « je danse, donc je suis » du professeur Kouam reprenant ainsi Senghor, mais épouser les valeurs du « tcham ha si » pour devenir « je danse avec, donc je suis » ou mieux « nous dansons, donc nous sommes ».
-Du point de vue pédagogique, la danse « tcham ha si » peut utilement devenir une matière d’illustration et d’édification des valeurs de la danse. Dans une structure scolaire qui a la danse au progrmme, ce que souhaite fortement Nietzsche quand il affirme que : « Le danse sous toutes ses formes ne peut être exclue de toute noble éducation : danser avec les pieds, avec les mots, et dois-je aussi ajouter que l’on doit danser avec la plume ? »[8]. Outre les bienfaits personnels, cette danse favorise l’acquisition des manières nobles, le respect du partenaire de danse, la concentration de l’esprit dans ce que l’on fait et l’idée de représentativité. Dans ce sens le « tcham ha si » a bien sa place au carrefour des cultures où son expressivité est comparable à celle de l’Inde, de l’Europe ou des États-Unis. Dans le film américain « Danse avec moi » ou « Take the lead », l’esprit d’équipe, de respect du partenaire et surtout de communion est recherché et exalté comme dans le « tcham ha si » ; c’est la même chose dans le film indou « Colly » où tout un village se retrouve devant son chef pour danser noblement et célébrer leur joie d’être uni à leur chef.
-Du point de vue éthique la danse « tcham ha si » est un lieu où les valeurs humanistes de la morale sont hautement respectées. Cette danse va bien au-delà de la responsabilité du Moi à Autrui si chère à Lévinas pour intégrer l’altérité symétrique de Ricoeur. En effet, l’approche asymétrique de la relation éthique lévinassienne[9] ne sied pas avec l’esprit du « tcham ha si » où la communion de tous est exigée. C’est plutôt dans la critique de Ricoeur à Lévinas où le Moi est reconnu et gratifié par Autrui que se retrouve le « tcham ha si ». Le « tcham ha si » est le lieu de vie de la règle d’or qui demande de faire à l’autre ce que nous attendrions en retour de lui. Ainsi le « tu » renvoie au « je » et inversement[10]. Ainsi, le « tcham ha si », bien plus que l’éthique de Lévinas, peut être une philosophie première où le leitmotiv n’est plus le « ne me tue pas » lévinacien, mais tout simplement le « dansons le tcham ha si ».

III.2. Le « Tcham ha si » : une dynamique à recentrer

La danse en général et le « tcham ha si » en particulier contient une dynamique difficilement maîtrisable. Si le « tcham ha si » présente une cohérence et une harminie dans son exécution comme nous l’avons présenté jusqu’ici, il n’est pas toujours ainsi, une fois sorti de son cadre strictement traditionnel. La mondialisation aidant, le « tcham ha si » s’exporte en perdant quelque peu de sa valeur. Et sa principale valeur, celle de la communion et de la convivialité est délaissée. La vulgarisation de cette danse révèle le « dionysiaque » que dénonce Nietzsche au lieu d’exalter l’apollinien traditionnel[11]. C’est le même son de cloche que nous retrouvons longtemps après chez Mono Ndjana qui s’indigne en ces termes : « Tous entendent les mélodies à la radio, et regardent les mêmes images à la télévision (…) Grâce aux médias, un immoralisme tentaculaire s’installe dans la mentalité de tout un peuple »[12].
Le « tcham ha si » appelé par ailleurs « ben skin » s’est vu déporté des pistes de la danse pour se retrouver chez les moto-taxis qui se plaisent à porter le nom de « ben-skiner » ! Et que dire des tenus vestimentaires impudiques, des rythmes rapides et frénétiques et des gestes violents qu’on rencontre souvent chez certains qui croient danser le « tcham ha si » original ? A dire vrai, la dynamique du « tcham ha si » devrais être recentrée. C’est une danse noble qui dit la noblesse humaine et ne saurait servir à la déperdition de l’homme. Comme danse, nous ne dirons pas que le « tcham ha si » doit être le paradigme de la foi chrétienne comme c’est le cas chez Nietzsche qui « ne pourrait croire qu’en un Dieu qui saurait danser »[13]. Mais nous pensons qu’il peut être d’un apport louable pour pacifier les rapports entre homme.

CONCLUSION

Au terme de notre démarche, force est de constater qu’il y a une réelle portée philosophique spécialement esthétique dans la danse « tcham ha si ». Outre le fait que c’est une école de vie et de convivialité, cette danse recèle les valeurs humanistes qu’il faut prendre le temps pour approfondir. Cependant sa dynamique interne peut devenir une arme fatale pour elle-même, d’où l’importance d’une recentralisation dans un cours de danse par exemple.
La philosophie n’étant pas une touche à tout, mais réflexion sur tout comme le pense O. Reboul[14], notre travail ne saurait épuiser la portée pluridisciplinaire de la danse « tcham ha si ». Il est une approche philosophique et spécialement esthétique de cette danse au rythme doux et noble qui à elle seule intègre de grandes valeurs telles que la sociabilité, l’altérité, la représentativité, la communion, la convivialité. Et dans la perspective du professeur Kouam de faire de l’esthétique II une réflexion sur la danse, Il semble que la philosophie hautement humaniste développée dans la danse « tcham ha si » peut faire école. Ce faisant notre cours d’esthétique contribuera à l’élargissement du champ de réflexion philosophique et sera une réponse positive à Duchesne qui se pose cette question : « La danse reste-t-elle le parent pauvre de la recherche ? »[15]. Pourtant la danse est en somme une expressivité ultime de l’homme, un facteur original et irremplaçable de révélation de l’homme.


BIBLIOGRAPHIE

CHRISTOUT M. F. ET S. JOUHET, « Danse », dans Encyclopaedia Universalis 2010.

DUCHESNE V., « Préface », dans FAMEDJI-KOTO TCHIMOU, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 9.
FAMEDJI-KOTO TCHIMOU, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, L’Harmattan,
1995, 172 p.
LEVINAS E., Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Londres, La Haye, 1980, 284 p.

NDJANA H. M., Les chansons de Sodome et Gomorrhe, Yaoundé, Carrefour, 1999, 126 p.
NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra, trad. M ; de Gandillac, Paris, 1985, p.
NIETZSCHE F., Humain trop humain, trad. H. Hildenbrand, Paris, Gallimard, 1991, 243 p.
NIETZSCHE F., La naissance de la tragédie, trad. H. Hildenbrand et L. Valette, Paris, Gallimard, 1991, p. 47.

NIETZSCHE F., Le crépuscule des idoles, trad. M. de Gandillac, Paris, Gallimard,
REBOUL O., La philosophie de l’éducation, Paris, P.U.F., 1999, 127 p.
RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, 425 p.
TIEROU A., La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, 142 p.
TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION.. 2
I. APPROCHE PROPEDEUTIQUE AU « TCHAM HA SI ». 2
I.1. La constitution des membres du groupe danse. 3
I.2. La sélection des instruments et autres matériels. 3
I.3. les séances de répétition. 4
I.4. La tenue vestimentaire et le jeu des couleurs. 5
II. LE « TCHAM HA SI » ET SES EXPRESSIONS DE COMMUNION.. 5
II.1 Entrée en scène et harmonie du rythme. 5
II.2 Plasticité corporelle et symbolisme des formes. 7
II.3 Socialité et convivialité des expressions. 7
II.4 « Communication par sympathie immédiat ». 8
III. LA DANSE « TCHAM HA SI » : UNE DYNAMIQUE COMPLEXE. 9
III.1. Le « Tcham ha si » : une dynamique pluri disciplinaire. 9
III.2. Le « Tcham ha si » : une dynamique à recentrer 10
CONCLUSION.. 11
BIBLIOGRAPHIE. 12
TABLE DES MATIERES. 13


[1] M. F. CHRISTOUT ET S. JOUHET, « Danse », dans Encyclopaedia Universalis 2010.
[2] B. KEMLEU TCHE-TCHE « Le meuteu », dans CRTV, Artistique, du Mercredi 12/05/2010 à 10h00 et suivant.
[3] Pour notre travail, nous avons prêté attention à deux artistes majeurs dans l’expressivité et la diffusion nationale et internationale de la danse « tcham ha si », à savoir Tala André Marie et Kemleu Tché-tché Bernard.
[4] Cf. A. TIEROU, La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, pp. 116-119.
[5] A. TIEROU, La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, p. 116.
[6], Idem, p. 7.
[7] F. NIETZSCHE, Humain trop humain, trad. H. Hildenbrand, Paris, Gallimard, 1991 p. 47.
[8] F. NIETZSCHE, Le crépuscule des idoles.
[9] Cf. E. LEVINAS, Totalité et Infini. Essai sur l’extériorité, Londres, La Haye, 1980, p. 207.
[10] Cf. P. RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 225.
[11] Cf. F. NIETZSCHE, La naissance de la tragédie, trad. H. Hildenbrand et L. Valette, Paris, Gallimard, 1991, p. 47.
[12] H. M. Ndjana, Les chansons de Sodome et Gomorrhe, éd. Du Carrefour, Yaoundé, 1999, p. 25.
[13] F. NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. M ; de Gandillac, Paris, 1985, p. 108.
[14] O. REBOUL, La philosophie de l’éducation, Paris, P.U.F., 1999, p.5.
[15] V. DUCHESNE, « Préface », dans FAMEDJI-KOTO TCHIMOU, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 9.

ESTHETIQUE DE LA PAROLE DANS LA CULTURE AFRICAINE

Par Guy Richard NGOA

INTRODUCTION
En Afrique, la parole revêt une importance capitale car elle est l’instrument de communication le plus utilisé au point qu’on a pu parler d’une littérature orale africaine. Mais toute parole ne fait pas l’objet de l’esthétique car, en Afrique, la bonne parole n’est pas seulement esthétique, mais aussi éthique. La parole esthétique qui est l’objet de notre réflexion est celle qui respecte une certaine structuration, certains canons. Ainsi si l’esthétique traite du beau en général, l’esthétique négro-africaine quant à elle traite du beau et du bien/bon. Une parole esthétique sera celle qui obéira toujours à ces deux dimensions. Mais une autre dimension déborde les deux premières, et se situe au niveau métaphysique ; d’où l’expression de la transcendantalité. Devant cette conception de l’esthétique verbale, notre intelligence s’interroge : pourquoi cette double dimension esthético-éthique de la parole en Afrique noire ? Quelle est l’essence de la transcendantalité de la parole dans la culture négro-africaine ? Quelles peuvent en être les conséquences ? Voilà la problématique qui sous-tend notre réflexion. Ce sujet s’inscrit dans le but d’élargir l’orientation de l’esthétique sous d’autres thèmes, comme sa dimension métaphysique. Notre étude est un travail de réflexion et de synthèse à partir des sources de la tradition africaine aussi bien écrite qu’orale. Le dossier de notre recherche serait incomplet s’il n’avait le complément indispensable avec les foyers authentiques de notre culture. Pour nous y prendre, nous aurons une démarche analytico-herméneutique. Ainsi, nous parlerons d’abord de la dimension empirique de la parole, sa dimension esthético-éthique ; ensuite, nous présenterons sa dimension esthético-éthique ; enfin, nous montrerons sa triple dimension esthético-éthico-métaphysique, c’est-à-dire sa dimension transcendantale.













I LA DIMENSION EMPIRIQUE DE L’ESTHETIQUE DE LA PAROLE EN AFRIQUE.
Dans cette partie, nous traiterons de la rhétorique négro-africaine dans sa dimension esthético-éthico- éducative. Elle concerne la dimension constatative de la parole, pour parler comme AUSTIN.
I.1. La rhétorique africaine dans sa dimension esthétique.
Si la rhétorique peut se définir comme l’art de l’éloquence, l’art de bien parler, l’Africain a aussi forgé une rhétorique à partir des éléments langagiers de sa culture. Nous voulons donc dévoiler la manière dont se pratique la rhétorique dans les langues africaines. Il faut souligner que cette rhétorique n’est pas l’apanage de tout le monde, c’est toute une école par laquelle le rhéteur doit passer. Voici quelques préalables pour entrer dans l’esthétique de la parole :
I.1. Les préalables.
La respiration. Ici, il s’agit de la respiration phonatoire, celle qui prépare le rhéteur à entrer en scène. Il doit commencer par un exercice durant lequel il fait passer l’air à travers la bouche, les fosses nasales, le pharynx, le larynx, la trachée artère pour atteindre les bronches. Cette étape terminée, nous passons à la seconde.

La voix. Elle est le véhicule de la parole, dont les pièces maîtresses sont le larynx, siège des cordes vocales d’où naissent les sons. C’est la tension et la longueur des cordes vocales qui font vibrer l’air et déterminent la hauteur du son car les sons aigus portent mieux que les sons graves et sont plus intelligibles.
La diction. Elle concerne l’articulation et le débit. Pendant que l’articulation met l’accent sur la prononciation d’un mot pour ne pas créer de confusion, le débit quant à lui donne la mesure et la vitesse d’exécution auxquelles l’orateur est soumis.
L’intonation. Elle est le ton varié de la voix que l’on prend selon qu’on est fâché ou content, selon qu’on s’adresse aux enfants ou aux adultes, aux femmes ou aux hommes, ou aux deus sexes, en tenant compte du temps et de l’espace.
Voilà quelques conditions préliminaires que le rhéteur négro-africain doit respecter avant de s’engager dans son art locutoire.
I.1.2. L’acte locutionnaire.
C’est un acte où le locuteur produit des sons articulés, combine des mots selon des règles grammaticales ou syntaxiques et effectue une opération proprement sémantique en employant ces vocables dans un sens et avec une référence plus ou moins déterminés[1]. Ici, il s’agit d’obéir aux règles de rhétorique que la culture africaine a adoptées. Ce n’est qu’en suivant ces règles que l’on qualifie quelqu’un d’orateur. Il faut dire que la rhétorique négro-africaine connaît aussi des tournures aussi jolies et peut-être plus jolies que certaines langues occidentales ; à la seule différence que la rhétorique ici assume aussi une fonction éducative. Ces tournures obéissent à un emploi spatio-temporel et selon les personnes à qui on s’adresse. Essayons donc de découvrir ces tournures.
a. L’allitération.
Elle est surtout utilisée entre les jeunes de même âge qui ont subi l’initiation ensemble. Cela signifie qu’elle est un langage codé, cependant, les aînés peuvent l’utiliser voire les adultes pour passer un message en présence d’un étranger à qui on cache le message. Exemple :
•Entre les enfants de la même classe d’âge.
En éwondo, par exemple on dira :
Bë bebè bebè babebë bebebè bevog bebé mebëbë : littéralement : deux crapauds regardent les autres crapauds d’un mauvais regard.
En haussa, on dira :
« Kato na koto.
Kwado na koto.
Kato za ya kwace ma kato koto ?
Ce qui veut dire
Le gaillard broute (prend son repas).
Le crapaud aussi broute (mange).
Est-ce que c’est le crapaud qui va arracher au gaillard son plat ou bien c’est le gaillard qui va arracher au crapaud sa nourriture ? »[2]
L’auteur explique cette dernière tournure en ces termes : « Voilà un exemple d’un Karangina qui vise à prendre le candidat au piège de la confusion de la prononciation entre deux mots pourtant distincts dans leurs sens et leurs formes mais proches par certaines de leurs parties (…) On demande à un volontaire de le dire le plus rapidement possible. A ce niveau, aura certificat tout candidat n’ayant pas fait de confusion de prononciation entre kato, kwado, kwace et koto, qui ont des sonorités proches mais des significations différentes.[3]
Il en est de même pour la première tournure en éwondo. Ici, nous voyons que les préliminaires évoqués plus haut ressortent dans ce passage : la respiration, la diction, le débit. Nous remarquons qu’ici, il s’agit de prononcer rapidement les mots avec une orthophonie sans faille et d’une vitesse locutoire donnée par l’éducateur. Si l’enfant parvient à le faire, il commence déjà à tendre vers l’accession au titre d’orateur/rhéteur.
* Entre les adultes.
Entre les adultes, on peut utiliser les mêmes tournures mais à des fins différentes. Par exemple, si l’on veut dénoncer les attitudes de deux groupes de personnes qui vivent dans la haine l’un l’autre, on dira toujours :
Bebebè bebè bebë bebebè bevog bebé mebëbë.
Ici, on veut dévoiler les rapports de haine qui existent entre deux camps. Alors pour que les enfants ou l’étranger ne comprennent pas, on utilisera cette image pour désigner les personnes qui sont ici symbolisées par les crapauds. Donc si le chef demande comment vont telles personnes à l’égard de telles autres, si les relations sont celles de la haine on prononcera cette allitération et le chef comprendra que les deux camps sont dans la haine ; ainsi les enfants ou les étrangers comprendront juste les premières notions qu’on a mentionnées dans la première interprétation sans comprendre la seconde qui est plus parlante.
b- La gradation.
C’est une figure de style qui montre une évolution graduelle de la pensée dans une phrase. Elle est très récurrente dans la rhétorique négro-africaine et peut être utilisée pour exprimer la joie ou la tristesse. Ceci toujours en tenant compte de l’auditeur.
•Aux enfants.
La gradation dans l’esthétique négro-africaine amène l’enfant à s’exercer aux formules qu’il utilisera plus tard. On lui apprend à formuler lui-même des exemples de gradation à partir de son vocabulaire. Prenons l’exemple de cette gradation en éwondo :
Zaa di, zaa min, zaa ngeban ; ce qui veut dire en français :
Viens manger, viens consommer, viens engloutir.
Dans l’éducation, on voudrait montrer à l’enfant qu’il mange trop, qu’il mange comme un cochon ; et le plus souvent, quand il est avec ses égaux et qu’on le lui rappelle, il a honte et ne pourra plus manger comme un cochon, mais comme un homme.
* Aux adultes.
Employée envers les adultes, cette expression souligne plutôt une réprimande à la personne. Car en effet, le verbe est employé à l’impératif présent, cela suppose que non seulement celui qui t’appelle possède quel quelque chose que tu n’as pas, mais aussi il montre ton caractère improductif. C’est-à-dire que tu es inutile à la société puisque tu ne fais que consommer sans produire. En d’autres termes, le possesseur veut l’inviter au travail car pour manger, il faut produire ; et le plus souvent, de telles expressions finissent par une intrigue du type quand est-ce que toi tu m’appelleras pour venir manger chez toi ? Comme disent les gens de la rue « Chaque jour la main lave le pied, quand est-ce que le pied va laver la main ? »
Nous voyons donc que cette gradation comme toutes les autres figures de style ont une connotation esthético-éducative pour les enfants, et esthético-éthique pour les adultes. Ainsi, quand une femme veut accuser son mari devant ses frères sous prétexte que celui-ci ne produit pas mais consomme seulement, elle peut employer cette formule devant ses frères et ceux-ci comprendront que sa femme est en train de l’accuser d’être paresseux.
c- La métonymie.
C’est une figure de style qui consiste à désigner le tout par la partie. Elle est aussi beaucoup utiliser dans la rhétorique négro-africaine, mais surtout dans le sens de l’éducation et de l’éthique. Ainsi, une maman, pour montrer à ses enfants qu’ils ne vont pas mettre long au travail champêtre par exemple, ne leur dira pas tout de suite en éwondo :
Biayi ki tobo kuam a esyé. Ce qui signifie en français :
Nous n’allons pas mettre long au travail
Mais utilisera une formule rhétorique pour le dire avec beaucoup d’élégance en ces termes :
Biake fo tyé ve elog dzidzia, ce qui veut dire en français :
Nous allons arracher une seule herbe.
Ce qui est étonnant c’est que certains enfants qui ne comprennent pas encore cette tournure veulent l’appliquer à la lettre, et dès qu’ils arrivent au champ et qu’ils arrachent une seule herbe commencent à réclamer le retour au village. On utilise aussi les mêmes formules dans une dimension éthique pour les adultes.
Il en est ainsi pour toutes les autres figures de style. Nous avons choisi juste ces quelques figures pour attester que la rhétorique négro-africaine les utilise mais va au-delà de la simple esthétique pour aboutir à une dimension éducativo-éthique.
I.3. L’acte illocutionnaire.
L’acte illocutionnaire est un acte effectué en disant quelque chose dans la parole exercée. C’est un acte conventionnel qui ne dépend pas de l’intention du locuteur comme tel mais opère par les règles du discours lui-même. On remarque que cette partie illocutionnaire fait partie intégrant de l’esthétique de la parole dans la tradition africaine et s’exprime beaucoup plus par les mouvements du corps. Ecoutons ce que disent Louis-Vincent THOMAS et René LUNEAU :
«(..) il existe une véritable « éloquence » de certaines attitudes : ainsi, le balancement de la tête, le rythme harmonieux du corps deviennent les « parures de la parole ». L’index « doigt du silence » et le médius « beau parleur » par là même n’ont pas de bague ; en revanche l’annulaire, à la recherche de la parole de l’autre, le pouce (notamment chez le chef) « symbole de force », l’auriculaire « habile à trancher les débats » portent souvent chez les hommes des ornements qui sont les auxiliaires indispensables du verbe »[4]

Nous voyons clairement ici une autre face de qualification de l’esthétique de la parole en Afrique. C’est en respectant tous ces critères qu’on reconnait le véritable esthéticien de la parole dans la culture négro-africaine. Nos deux auteurs continuent en disant :
« Traditionnellement les langues africaines ne dépassent que rarement (elles n’en ressentent pas le besoin)le stade de l’oralité, et ce que l’Européen organise avant tout par la structure verbale, le Noir va donc l’exprimer tout autant par les gestes, le ton et le rythme, enfin par l’image et le symbole dont nous parlerons plus loin. – Le geste en soi s’avère expressif non seulement au niveau de la technique, du jeu intellectuel, mais encore sur le plan liturgique : l’apparente nonchalance du prêtre « animiste » masque mal un ritualisme rigoureusement codifié, inséparable d’un jeu de symbole et considéré comme condition nécessaire de l’efficacité religieuse : le geste ici se fait rite (…). En pays dogon les femmes tendent les bras en l’air pour indiquer leur tristesse ; elles raclent en frappant le sol avec une calebasse percée pour exprimer l’absurdité et le désordre de la mort. »[5]
Il est donc clair que les gestes constituent une part importante dans l’expression esthétique de la parole en Afrique. Sans s’arrêter à ce niveau, nos auteurs renchérissent :
«Les doigts restent unis, les coudes généralement se ramènent vers l’avant. De même les doigts joints sur la nuque expriment l’inquiétude, le souci grave. On sait également que lors de l’initiation, les « Le deuil s’exprime chez les Diola (Sénégal) par le geste que voici : garder les deux mains sur la tête, jeunes initiés demeureront étendus de tout leur long sur le sol ; quand ils se relèveront, « ils seront aux yeux de tous revêtus d’une dignité nouvelle. »[6]
Nous remarquons que nos auteurs commencent à récapituler presque tout ce qu’on a dit précédemment, à savoir les préliminaires : les circonstances, la tonalité, le rythme,… C’est cela qui constitue à première vue l’esthétique de la parole en Afrique. Si par exemple comme on vient de le voir, la femme diola ne respecte pas ces prescriptions que nous venons de citer quand elle est fâchée, elle ne sera pas considérée comme douée d’esthétique verbale. Cela nous conduit à découvrir une autre facette de la parole :
I.1.4. L’acte perlocutionnaire.
C’est un acte qui vise à produire un certain effet psychologique chez l’interlocuteur ou sur l’auditoire. Par son discours, un locuteur peut chercher à susciter l’approbation, l’admiration, la satisfaction, la crainte… Mais en Afrique tout cela se passe à deux niveaux et concerne aussi bien les enfants que les adultes. Cet acte perlocutoire peut s’exprimer par des contes, des proverbes, des légendes, des mythes,… bref tout ce qui peut susciter une certaine réaction de l’auditeur.
* L’acte perlocutoire envers les enfants.
Comme nous l’avons souligné plus haut, l’esthétique verbale négro-africaine est toujours accompagnée d’un message moral, éducatif ; il en est de même pour l’acte perlocutoire envers les enfants. On peut utiliser des contes, des fables des devinettes, des mythes, des légendes soit pour inciter l’enfant à suivre ou à ne pas suivre ce qui est vécu dans cet acte perlocutoire. Prenons quelques exemples.
Le conte. Il est un raisonnement métaphorisant du réel, un récit imagé qui reflète les réalités sociales. Il est un genre varié aussi bien dans sa forme, ses thèmes et son style que dans le message qu’il véhicule et il ne se raconte que la nuit, le plus souvent, ce sont les grands-parents qui disent les contes à leurs petits-fils pour les y initier. A leur tour, ceux-ci essayent de reproduire tous les contes qu’on leur a transmis. On distingue plusieurs types de contes : les contes de fée, les contes de guerre, les contes de chasseurs, les contes d’amour… mais nous n’allons choisir qu’un type pour l’illustrer, les contes d’initiation sexuelle. En voici un qui est racontés aux enfants. Il faut dire qu’avant de raconter, le locuteur suit une méthode tracée par la tradition pour rendre son conte crédible et plus esthétique. Il y a d’abord une formule introductive pour attirer l’attention de l’auditoire. Par exemple, en éwondo, on dira : Ndo anga bo naaaa, et l’assemblée répond hm, les Bassa diront ndon libon lè a, et l’assemblée répond éé C’est-à-dire : il était une fois, et l’assemblée réponde oui. Ce qu’on traduit dans le théâtre par cette formule : Awoulawoula et l’assemblée répond, awoula, et le locuteur reprend : histoire, et l’assemblée répond raconte. Puis suit le conte proprement dit parfois recoupé par des petits repons brefs sous forme de chants ; ensuite vient la formule finale qui, en éwondo, se dit de manière métaphorique et ceci pour passer la parole à un autre conteur dont on prononce le nom. Et cela se dit ainsi : Ai bisek ai miyiè, mevë (le nom de la personne à qui vous passez la parole.) Ce qui veut dire : et les poumons et les intestins, je les donne à (le nom de la personne). Et enfin vient la formule conclusive qui véhicule le message. Examinons donc ce conte d’initiation sexuelle chez les Maka de l’Est Cameroun qui a pour but de montrer comment solliciter l’amour d’une femme ou d’un homme dans le lit avec des paroles mielleuses sans la (le) blesser et sans que les non initiés comprennent.
« On avait demandé à Petit Papa de faire son travail.
Il était tout flapi, tout ratatiné.
On conclut qu’il était fatigué, qu’il dormait.
On l’effleura, on le secoua un peu pour qu’il se réveille et fasse son travail
Soudain, on le vit se redresser et hocher la tête.
Il gonfla, devint très fort et vigoureux.
Il acceptait de faire son travail.
Et on lui montra le travail à accomplir, et il le fit très bien et pendant longtemps.
Après, Petit Papa se fatigua, et il redevint tout faible, tout petit. »[7]
Ce conte a deux destinataires, mais pour le moment, on focalise notre attention sur la jeunesse. Un non initié comprendrait qu’on exhorte l’enfant à aimer le travail, mais aussi à bien le faire et à le faire jusqu’à la fin ; mais on lui montre qu’il sera fatigué et que c’est normale pour quelqu’un qui a bien fait son travail.
Mais si nous prenons le même conte et l’exprimons clairement comme cela se fait dans les camps d’initiation sexuelle, la portée sera celle-ci et de manière claire :
Petit Papa est un nom qu’on donne au pénis, et la femme, pour exprimer le besoin d’accouplement lui demandera de faire son travail c’est-à-dire de s’introduire dans son vagin. Comme le pénis ne se décontracte pas, la femme est obliger de le caresser pour le mettre en érection ; et soudain il se décontracte et l’acte sexuel commence. Ainsi, l’homme sera appelé à mettre longtemps sur la femme pour l’amener à jouir. Et après l’éjaculation, le pénis redevient flasque. Voilà le même conte exprimer à différentes personnes et dont le message diffère d’une catégorie à une autre. Pour un bon esthéticien de la parole, il procèdera de cette façon-là. C’est ce qui a amené Pierre ERNY à conclure que
« L’apparente immoralité qui règne dans les contes, expliquée au plan de la morale sociale comme type de conduite à éviter, devient au plan du symbolisme ésotérique victoire des forces de vie sur les forces de mort. Ceci explique que les contes puissent aussi devenir objet de croyance ; en un sens, ils sont doublement ésotériques. D’où leur portée métaphysique et sociale, perceptible au-delà de leur indigence littéraire. Leur récitation contribue à la marche du monde et à la mise en mouvement des grandes forces de la création ; elle est de ce fait hautement bénéfique. Sur le plan pédagogique, ils constituent une base d’enseignement, une première étape d’instruction, présentation aux jeunes, « sous une forme amusante et colorée, facile à retenir, les drames de la création et les connaissances qu’ils devront acquérir aux différentes étapes de leur initiation. Par la suite ces vérités essentielles se dégageront peu à peu des images enfantines et il suffira de les transposer pour entrevoir le fonctionnement du mécanisme cosmique. » »[8]
Le proverbe. Le proverbe est un énoncé qui ne porte pas de signification en soi, et son efficacité locutoire est extrinsèque, c’est-à-dire que l’expression figurée n’a pas de statut propre. Ces proverbes sont multiples et variés et sont énoncés selon les circonstances et les différentes activités de la vie. Un discours sans proverbe pour un adulte en Afrique n’a vraiment pas de sens à proprement parler. Un bon discours africain doit être assaisonné par des proverbes, des paraboles, des aphorismes, des anecdotes… Par exemple, pour exprimer une esthétique langagière polémologique, le chef de guerre ne va pas s’adresser à son adversaire de manière explicite, il pourra emprunter ce proverbe pygmée pour lui exprimer la vengeance de ses troupes en cas de fatalité de sa part : Si vous écrasez une fourmi, toutes les fourmis viendront vous mordre. L’éloquence ici se trouve dans la manière de dire. Il pouvait dire ouvertement, si vous m’attaquez, mes soldats me vengeront, mais il préfère prendre une autre tournure qui sonne très bien aux oreilles, telle est aussi l’esthétique verbale en Afrique noire.
NKOMBE OLEKO a étudié la relation interparémique, nous vous proposons de le lire. Mais notons que dans les proverbes, la parole est d’une nécessité existentielle. Est sage celui qui connaît les proverbes, ceux-ci étant le cheval de la parole. Tout en faisant l’usage de la parole l’homme devra se rendre compte qu’il ne doit pas tout dire : il est comme le fond de la pirogue de l’eau, c’est-à-dire il sait garder le secret des amis, se défendre de les dénuder. Et dans son expression, il doit se limiter à l’essentiel, éviter d’avoir une bouche comme le tambour, beaucoup de paroles mais peu d’actes. En effet, l’Africain est un homme de parole et il se sert des mythes, des récits étiologiques, des devinettes…pour exprimer non seulement la « pulchérie » de sa parole, mais aussi son message.

Il s’agit de montrer la manière dont les Africains utilisent l’esthétique dans la dimension éthique. Cette dimension concerne les différentes classes sociales auxquelles le locuteur s’adresse. La manière de parler du roi ou à un roi est différente de la manière de parler du guerrier ou à un guerrier, ou à un chasseur. Il faut toute une éthique de la communication que nous proposons vous livrer dans cette partie. Ceci parce que la parole nous vient de Dieu par l’entremise des ancêtres et elle ne doit pas être banalisée, d’où sa dimension transcendantale.
II. LA DIMENSION TRANSCENDANTALE DE L’ESTHETIQUE DE LA PAROLE EN AFRIQUE.
Dans cette partie, nous voulons montrer la partie performative de la parole qui nous vient de Dieu par l’intermédiaire des ancêtres. Mais il convient de préciser que l’art en général est une lutte de la vie contre la mort et symbolise eschatologiquement la victoire de la vie sur la mort. Car d’après les mythes africains, l’art a été créé pour nous rapprocher de Dieu, pour le garder présent avec nous car quand il était avec nous, il n’y avait pas d’art ; mais dès qu’il est allé s’installé dans son monde, nous sommes obligés de le chercher dans l’art à travers les ancêtres. Pour cela, il est important de lire le mythe des Guiziga sur Bumbulvung, le mythe écrit par Prosper ABEGA sur le « modo »…que nous n’aborderons pas ici.
II.1.Dieu comme essence de la parole.
En Afrique, l’efficacité de la parole repose sur la conformité à la volonté de Dieu à travers les ancêtres. En d’autres termes, pour qu’une parole soit efficace, c’est-à-dire pour qu’elle soit performative, qu’elle réalise ce qu’elle dit, il faut qu’elle prenne sa source des ancêtres qui vivent avec Dieu. Ici, nous abordons la dimension métaphysique de la parole. Dieu est à l’origine de la Parole et il est la parole. Cela signifie que dire la parole, c’est dire Dieu auquel je communie quand toutes les conditions sont respectées ; cela implique que la parole à dire ne puisse produire que des effets positifs car Dieu est bon et bonifie l’homme. Cela signifie que la parole dans cette dernière dimension récapitule tout ce qu’on a dit précédemment, elle contient en elle la dimension esthétique, éthique, métaphysique. Ici, celui qui profère la parole est connecté directement aux ancêtres, bref ce sont les ancêtres qui parlent à travers lui, comme le souligne Pierre ERNY :
« Un terme vaut par sa puissance d’évocation, par les notions avec lesquelles il peut être mis en relation, qui permettent d’en éclairer davantage la portée. Tout en restant apparemment dans le sensible et sans que l’image concrète soit transcendée, la pensée arrive de ce fait à se mouvoir à un haut niveau d’abstraction et d’universalité. »[9]
Nous voyons que la métaphysique est le summum de la Parole « pulchérique »• chez l’esthéticien africain. Voici ce que nous disent Louis-Vincent THOMAS et René LUNEAU :
« Si l’Africain accorde au verbe un tel pouvoir, c’est en raison de trois traits (…)-Tout d’abord parce qu’il renvoie à Dieu. La valeur du Verbe chez le Bambara du Mali par exemple provient de ses origines divines. « Dieu est par excellence la parole ; celle des hommes, reflet de la parole primordiale, conserve dans sa texture la trame originelle… D’une façon générale, Bemba est la raison d’être du Verbe, Faro en set la manifestation et la compréhension (la vue), Nyalé incarne son impulsion et sa diversité, N’domadyiri sa stabilisation et son explication. Chaque parole, chaque discours sont en quelque sorte la reproduction du langage de Dieu, aussi le Créateur et les trois « bases »façonnent ils à tout moment le verbe des hommes. »- Ensuite parce qu’il procède de l’homme, créature privilégiée par excellence. Si le verbe est chose divine, il n’en est pas moins, pour le Bambara par exemple, tout autant chose humaine. « Sans les transformations et le façonnage qui s’effectue à l’intérieur du laboratoire humain, il n’aurait pas acquis sa forme organisée ni produit dans le monde bambara les répercussions qu’on lui connaît. » Lié aux organes et sécrétions lui imprimant un nombre égal d’aspects différents, le langage a en outre des attaches particulières avec certaines parties ou postures du corps : les yeux renseignent sur la parole de celui qui parle, les oreilles permettent la maîtrise de la parole, le cou lui confère constance et hardiesse ; les pieds lui assurent la « masse » ou la solidité ; par ailleurs, lier les mains de celui qui parle, c’est amoindrir sa parole, la parole proférée debout reste superficielle ou vaine , mais parler assis (notamment s’il s’agit de décision grave) octroie au dire son poids et sa stabilité, etc.-Enfin parce qu’il n’est pas étranger au monde. Ne discerne-t-on pas dans la parole humaine, s’il faut en croire les Dogon (Mali), les éléments fondamentaux constitutifs du corps humains et que l’on retrouve dans le cosmos ? L’eau car sans salive pas de parole (la parole humide est celle « qui coule bien ») l’eau demeurant d’ailleurs « le support de la vibration sonore qui se meut selon une ligne hélicoïdale » ; la ligne de chevron représente simultanément « le chemin de l’eau et celui du verbe ». L’air puisque le poumon, à l’origine de la vibration sonore, « véhicule la vapeur d’eau chargée de sons ». La terre « qui donne à la parole son poids, sa signification », elle est le « sens des mots » ; correspondant au squelette dans le corps de l’homme, elle est la charpente du discours ». Quant au feu, il constitue « la chaleur de la parole » : l’homme en colère, dit-on, a une parole brûlante, l’homme calme une parole froide ! »[10]
Nous voyons donc la dimension métaphysique de la parole qui procède directement de Dieu, et c’est pour cela qu’elle est créatrice. Mais pour être véritable conséquente, cette parole doit passer par les ancêtres. Alors, qui sont les ancêtres pour les Africains ? Pourquoi les Africains les invoquent-ils ?
« Quelle que soit la terminologie employée, même dans le cas de la dialectique du verbe chez les Bambara, dont parle le professeur D. Zahan, ce cheminement est celui de la vie vers la conquête de son plein épanouissement (…)
Dans cette montée, c’est tout l’univers qui s’affranchit, s’unit, se personnalise et s’accomplit. Le rite africain est incompréhensible pour qui n’a pas cette dimension cosmique de l’homme. L’Homme est à la fois du monde des Vivants et de celui des Morts ; il est esprits, animaux, végétaux, minéraux ; il est feu, il est eau, il est terre.
II.2. Les Ancêtres comme intermédiaires entre Dieu et les hommes, le monde des vivants et celui des morts.
Le mot ancêtre vient de deux mots latins : ante qui signifie avant et cedere qui veut dire marcher. Généralement, les ancêtres sont considérés comme ceux qui ont vécu avant nous et qui ont marqué l’histoire de l’humanité mais qui sont déjà morts. Cela est vrai. Toutefois, pour l’Africain, l’ancêtre est plus que cela, il est un saint puisqu’il vit avec Dieu et intercède pour les Vivants ; c’est pour cela que tous les morts ne peuvent pas être déclarés Ancêtres comme le confirme le professeur B. MUZUNGU cité par Michel KOUAM :
« Tous les morts ne font pas partie des mânes… Les ancêtres sont les hommes qui ont bien vécu sur la terre, les hommes qui ont fait du bien… Ceux qui ont procréé… Ceux-là font partie des mânes. Les sorciers, les assassins, les menteurs, les voleurs… sont exclus de la catégorie des ancêtres et sont classés dans la catégorie mauvais esprits condamnés à errer et prêts à causer du tort aux vivants. »[11]
Il ressort de ce qui précède que l’ancêtre est quelqu’un qui a respecté les trois dimensions de l’esthétique de la parole : la dimension esthétique, la dimension éthique et la dimension métaphysique. Donc ici, il ne suffit pas seulement de bien parler, faudrait-il encore que ce que tu dis soit bien, vrai et utile à toute la communauté ; que cela soit conforme à ce que l’on fait. Ce n’est donc pas comme les simples rhéteurs ou les sophistes qui ne se souciaient pas de la vérité de ce qu’ils énoncent ; l’homme africain, pour être un véritable orateur, esthéticien, doit faire aboutir son discours dans sa dimension métaphysique ; comme le précise le professeur Michel KOUAM « La communion avec le monde invisible, pour être parfaite et totale, après la mort, exige une soumission à la loi morale capable de « sculpter » l’âme humaine. »[12]
La quintessence de ce passage nous fait comprendre que l’esthétique en Afrique reflète le mode de vie des ancêtres. Nous voyons là un véritable dépassement de la conception de l’esthétique occidentale. L’esthétique négro-africaine tire son essence de Dieu et des ancêtres. En d’autres termes, pour juger l’esthétique de la parole en Afrique, il faut interroger le vécu des ancêtres sinon tout jugement reste superficiel car il se limiterait au niveau des sens, pourtant il faut partir des sens pour atteindre l’essence afin que le jugement soit crédible, comme nous fait comprendre le professeur Michel KOUAM :
« Les règles de moralité pour l’éducation des hommes existent partout en Afrique, comme ailleurs, sous des formes diverses : dans les lois, dans les maximes à caractère proverbial. Mais elles existent surtout dans l’imitation des vies bien vécues : celle des aînés et surtout celle des ancêtres qui vivent en communion avec les vivants ; ces derniers constituent une instance de moralité du type théocentrique. Car ceux-là qui sont supposés avoir bien vécu une vie digne l’ont été dans la « crainte de Dieu ? ». A ce titre, ils sont des figures et des modèles à partir desquels leur progéniture doit forger et sculpter leur propre personnalité. »[13]
Nous voyons donc clairement ressorties les trois dimensions dialectiques de l’esthétique africaine : une dimension empirique qu’on qualifierait d’esthétique du premier degré commune à toutes les cultures du monde, une dimension empirico-éthique qu’ignore l’Occident ; enfin une dimension transcendantale d’ordre métaphysique qui est le sommet, le couronnement de toutes les autres dimensions avec pour finalité la recherche de la victoire de la vie sur la mort qui nous permettra de vivre éternellement avec Dieu et de devenir ancêtres à notre tour. Mais les véritables représentants des ancêtres sont les chefs ou les rois.
II.3. Le Chef ou le Roi.
Le Chef ou le Roi incarne les ancêtres, c’est pourquoi leur parole peut être soit bienfaisante, soit fatale quand il faut punir. L’autorité de leur parole découle du degré de leur fidélité à la volonté des ancêtres. Aussi quand le chef parle, il parle d’abord au nom des ancêtres, ensuite au nom de ses sujets. Il doit habiller sont langage de proverbes, de figures de style tels qu’on les a démontrés, et même sa tenue vestimentaire est tout un langage et doit obéir à certains canons. Il peut par exemple porter sur la tête des plumes d’oiseau, ou sur le tronc une peau de bête… et pour être plus considéré, il doit être accompagné d’un garde du corps qui est sensé mourir à sa place en cas d’attaque contre la personne du chef. Et quand le Chef ou le Roi parle, sa parole doit avoir un débit lent, il doit bien articuler les mots, il ne doit pas trop bouger les pieds, mais doit faire bouger les mains, son langage doit être un langage soutenu qui obéit à tous les préalables de l’esthétique mentionnés plus haut. Mais quand le chef conclut son discours, il le conclut par une tournure qui marque la fin des interventions. Il ressort de ce qui précède que les parole du Chef peuvent être « logothérapeutiques •» ou « logothanatosiques• » c’est-à-dire quelles peuvent soigner tout comme elles peuvent tuer car il parle au nom de Dieu et des ancêtres. C’est pourquoi Michel KOUAM souligne : « Partant du roi qui dégage une certaine conception de la vie en Afrique, l’homme est au centre d’un triangle dont le sommet est occupé par l’Être suprême, la bases d’un côté par les divinités protectrices de l’autre par les ancêtres. Le roi ou chef dans cette structure, est l’incarnation du pouvoir divin. »[14] Ainsi pour nommer la mort en Afrique, on procède par certaines attitudes qui font reconnaître le signe des différentes catégories de la société, comme le réitèrent L.V. THOMAS et R. LUNEAU :
« Voici à titre indicatif, l’exemple des Fon du Dahomey qui utilisent les formulent suivantes :
Mort du roi : Il fait nuit.
Mort d’un vénérable, d’un dignitaire : Sé (Principe transcendantal de la personne, le destin) lui a tendu la natte à lui
Mort d’un vieux non dignitaire : il est parti à la maison
Mort d’un jeune homme : la maladie a changé de main
Mort d’un enfant de quelques jours : il est retourné
Mort d’un jumeau dont l’autre survit : il est parti dans la forêt, etc. »[15]
Il est vrai que nous mettons l’accent sur la personne du Roi, mais nous remarquons que tous doivent savoir exprimer cette esthétique de la parole en des tournures différentes selon la mort des personnes concernées. Un bon esthéticien Africain doit aussi savoir employer le méta-langage comme le précise Pierre ERNY :
« Ainsi le Bambara va-t-il illustrer les thèmes le plus abstraits par l’entremise de l’éléphant, de l’hyène, de l’hippopotame, du cheval, de l’âne, du chien, de végétaux, de condiments, etc., choisis selon l’idée qui doit s’exprimer grâce à eux. Veut-il parler des « délices », et de la « saveur « de la connaissance ? Il fera intervenir le sel, le piment, la cendre, la sauce. S’efforce-t-il de dépeindre l’immensité du savoir ? Il aura recours à l’éléphant, l’animal le plus important de la faune connue de lui. Le lion incarnera l’aspect éducatif et noble de la formation. L’hyène figurera la connaissance objective, ramenée à la portée de l’homme. Ainsi de suite, chaque objet brut ou fabriqué, chaque être sont, dans l’enseignement, des symboles qu’il faut se garder cependant d’utiliser au hasard, car leur valeur est fonction de l’analogie susceptible ou non de s’établir entre ces concepts abstraits et les attributs réels et intrinsèques des supports des symboles. »[16]
Un bon discours d’un chef doit toujours être bien habillé par ce métalangage, cette éthique et cette métaphysique. Comme nous l’avons souligné avec le Docteur KOUAM, le pouvoir de la parole en Afrique part de Dieu pour atteindre les aînés. Les Ancêtres parlent au nom de Dieu, le Chef parle au nom des Ancêtres, Le chef de famille parle au nom du Chef de la contrée, le Premier-né parle au nom de son père et l’aîné parle au nom du premier-né. Nous comprenons que pour saisir la portée pulchérique de la parole en Afrique, il faut s’inscrire dans un chassé-croisé onomasiologico-sémasiologique ; en d’autre termes, pour saisir la parole, il faut d’abord saisir le mot ; et pour saisir l’idée, il faut comprendre l’expression. Sans cela, la compréhension du discours reste superficielle, comme le dit Engelbert MVENG :
« Voilà pourquoi, pour nous Africains, le monde même matériel, n’est pas une réalité impersonnelle : il est au contraire un partenaire avisé et efficace. On voit l’erreur d’optique de ceux qui ont interprété l’attitude de l’homme face au monde, dans notre tradition, en terme de fétichisme, idolâtrie, animisme. La médecine traditionnelle elle-même trouve ici sa véritable signification. C’est également là qu’il faut chercher les racines du langage symbolique. Ce langage à la fois scientifique (médecine) et esthétique (art), permet à l’homme de lire dans la création le grand livre de sa destinée. Il y déchiffre le nom de ses alliés et de ses adversaires dans le combat de la vie et de la mort. Il y mobilise ses alliés pour assurer la victoire de la vie sur la mort. »[17]
D’où l’importance de l’initiation dans la culture africaine, car celle-ci nous apprend que l’univers que nous récapitulons est un immense drame où s’affrontent la vie et la mort. Pour vaincre la mort, il faut passer par l’initiation qui est une étape rude. Ainsi tous ceux qui en sortent vivants expriment symboliquement la victoire de la vie sur la mort.
II.4. La performativité de la parole en Afrique.
Nous voulons montrer dans cette partie qu’en Afrique, la parole réalise ce qu’elle dit, c’est-à-dire qu’elle peut créer, vivifier et tuer selon les circonstances et les motifs, et cette performativité n’est pas conditionnée par le temps et l’espace ; en d’autre termes, il n’est pas nécessaire que le concerné soit toujours présent, même absent, la parole aura prise sur lui.
II.4.1. La « logotidzonie »•
En Afrique, c’est la parole qui a créé toutes choses, visibles et invisibles : elle est donc Dieu. Voici ce qu’en disent Louis –Vincent THOMAS et René LUNEAU : « La création du monde procède initialement du Verbe »[18] Dans la même verve, L.S.SENGHOR renchérit : « La parole, le Verbe sont l’expression par excellence de la force, de l’être dans sa plénitude (…) Chez l’existant, la parole est le souffle animé et animant l’orant ; elle possède une vertu magique, elle réalise la loi de participation et crée le nommé par sa vertu intrinsèque »[19] Nous retrouvons les même affirmations chez CHEIKH ANTA Diop, Théophile OBENGA, Grégoire BIYOGO. En fait, la parole crée dans les deux sens du terme : création réelle c’est-à-dire physique dans le sens d’appeler à l’existence, et création métaphysique dans le sens de mutation ontologique. C’est pourquoi la bénédiction ou la malédiction a prise sur quelqu’un sur qui on les profère.
II.4.2. La « logosodzonie »•/ Logothérapie.
Il convient de rappeler qu’en Afrique, la bénédiction émane des ancêtres. Leur mission première est de bénir les vivants. Cette bénédiction est donnée aux personnes ayant accompli de bonnes actions selon la volonté des ancêtres, de la communauté. C’est pourquoi à toutes les étapes de la vie, l’Africain implore la bénédiction des ancêtres : lors des semailles, des récoltes, de la chasse, de la pêche, du mariage, de la naissance, de la dation… Si les sollicitants de la bénédiction sont en état de pouvoir la recevoir, celle-ci agira efficacement et le sollicitant obtiendra ce qu’il a voulu. Ici, la parole agit ex opere operato et la personne bénie en ressent les effets. Cependant, il ne revient pas seulement au roi ou au chef de bénir, leurs substituts auxquels on a fait allusion peuvent le faire quand toutes les conditions sont réunies et les effets seront les mêmes.
II.4.3. La « logothanatosie »•
C’est la dimension fatale, meurtrière de la parole en Afrique, c’est la malédiction, une parole qui conduit à la mort. Il est utile de dire que la malédiction n’entre pas dans la volonté première des ancêtres. Mais si un imposteur devient une menace pour la survie du groupe, de la communauté, on peut demander aux ancêtres de le punir, de le maudire, ceci quand le roi ou le chef ou toute autre personne a déjà épuisé toutes les méthodes possibles pour le ramener sur le droit chemin. Comme nous l’avons dit plus haut, la malédiction n’est pas seulement au pouvoir du chef ou du roi ; toute personne peut la proférer pour vue que toutes les conditions soient réunies et que la personne à maudire soit vraiment coupable, sinon la malédiction n’aura pas d’effet car la personne concernée est aussi aimée des ancêtres qui veulent sa réussite dans la vie. La malédiction proférée envers une personne qui vit selon la volonté des ancêtres n’aura aucun effet. Voici ce qui est dit :
« Dans l’accomplissement de la parole mauvaise, outre l’ancêtre, le « ndoki (sorcier) » a également un rôle remarquable. C’est la raison pour laquelle il ne sied pas de souhaiter du mal à quelqu’un même par simple blague. S’il y a un « sorcier » aux environs, et qu’il saisisse la parole, il s’inscrit en agent réalisateur du mal exprimé é dans le verbe. Pour lui non plus la distance géographique ne joue pas : il peut atteindre l’intéressé n’importe quand et n’importe où dans un temps relativement bref. »[20]
Quoiqu’il en soit, ces trois dimensions métaphysiques de la parole en Afrique opèrent en dehors du temps et de l’espace. Leur performativité n’a pas besoin de la présence environnante du concerné. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir une certaine éthique langagière pour éviter les « logothanatosies ».
INTERETS PHILOSOPHICO- PEDAGOGIQUES DU SUJET.
Si nous convenons avec Wittgenstein que toute la philosophie se ramène aux problèmes de langage, il y a lieu de comprendre les controverses que l’Afrique a causées dans l’arène philosophique à propos de son langage qui n’avait pas été compris par les Occidentaux qui ont fini par nier l’existence d’une philosophie africaine, pourtant… De même, l’art africain ne peut être saisi que dans sa double dimension empirico-transcendantale pour pouvoir en parler avec orthodoxie. Comme nous l’avons dit plus haut, la beauté de la parole en Afrique se saisit dans une triple dimension esthético-éthico-métaphysique, ce qui est autre chose dans l’esthétique occidentale. Ceci montre que la philosophie doit être inculturée si elle veut être utile à un peuple quelconque car les catégories langagières et leurs significations ne sont pas toujours correspondantes d’une culture à une autre, d’où notre chassé-croisé onomasiologico-sémasiologique de la parole en Afrique, comme nous le raconte l’anthropologue Evans-Pritchard :
« J’ai lu quelque part que des missionnaires avaient essayé de traduire le mot « agneau » dans l’idiome des esquimaux, comme dans « paissez mes agneaux ». On peut, bien sûr, rendre cette phrase en se référant à quelque animal familier des Esquimaux, en disant par exemple « paissez mes phoques », mais on remplace ainsi ca qu’était un agneau pour un berger hébreu par ce qu’est un phoque pour un Esquimau. Comment peut-on communiquer le sens d’une phrase comme : les chevaux des Egyptiens sont « chair et non esprit » à une population qui n’a jamais vu le cheval et qui n’a aucune notion correspondant à l’idée que les Hébreux se faisaient de l’esprit. »[21]
En fait, cette remarque d’Evans-Pritchard nous interpelle aujourd’hui, nous Africains, car il est impératif pour nous d’endogéniser la philosophie, lui donner des concepts juste correspondant à nos catégories ; mais hélas ! On compte le nombre de philosophes qui acceptent l’existence d’une philosophie africaine. Aussi les mémoires ne portent que sur les philosophes occidentaux. Pour pourra donc faire connaître notre philosophie dans ce grand rendez-vous intellectuel. Il est étonnant que ce fut le révérend Père Tempels qui fut le premier à écrire une philosophie africaine ; et au grand étonnement des Africains qui en nient catégoriquement l’existence. Pourtant chaque philosophie part d’une donnée culturelle qui est la langue qui est porteuse de la culture. Nous sommes donc vivement interpelés par le Père HEBGA qui lance cet appel aux Africains :
« Puisse nos étudiants et autres chercheurs africains étudier les écrits de Plotin, Augustin, ceux de la philosophie éthiopienne (Abba Mikael, auteur du texte éthiopien du Livre des philosophes, La vie et les Maximes de Skandes, Le Traité de Zera Jacob). Ils réfléchiront sur l’énorme production philosophique africaine contemporaine, sans se laisser impressionner par la division arbitraire et superficielle des auteurs ethnophilosophes et europhilosophes. Ace propos, il faut affirmer que nombre de thèses de doctorat et de mémoires de maîtrise, de DEA sont dignes du plus grand intérêt. »[22]
Nous osons croire que cette invitation n’est pas tombée dans les oreilles des sourds. Il es aussi tant de nous réapproprier les éléments pédagogiques de notre tradition comme les proverbes, les contes, les devinettes, les mythes pour éduquer et instruire nos enfants. En prenant les exemples de sa culture, l’enfant comprend mieux les exemples car il les vit en direct. C’est aussi une interpellation qu’on adresse au ministre de l’éducation pour solliciter l’insertion effective de la culture africaine dans les programmes scolaires afin de former des Africains enracinés dans leur culture et ouverts au monde.















CONCLUSION.
L’esthétique de la parole dans la culture africaine : de l’empiricité à la transcendantalité, tel était le libellé qui nous a servi de réflexion. Aussi, pour une meilleure compréhension d ce sujet, nous avons soulevé une problématique qui a situé le sujet dans un domaine particulier, à savoir : Comment reconnaître les véritables canons de l’esthétique de la parole en Afrique ? Quelle est l’essence de la transcendantalité de la parole dans l’esthétique négro-africaine ? Quelles peuvent en être des conséquences ? Pour nous y prendre, nous avons adopté une démarche analytico-herméneutique. C’est ainsi que nous avons d’abord montré la dimension empirique de la parole en en faisant ressortir la rhétorique avec tous ses préliminaires. Nous nous sommes appesantir sur certaines figures de style et sur certains contes pour soutenir notre thèse ; Il en est ressorti que l’esthétique de la parole est toujours liée à une portée éducative. Ensuite, nous avons touché la partie concernant l’esthétique dans sa dimension éthique. Il a été évident que la véritable esthétique de la parole est toujours accompagnée de la dimension éthique. En fin, nous avons abordé la partie transcendantale de l’esthétique verbale dans laquelle nous avons montré qu’elle a son essence en Dieu en passant par les ancêtres. Aussi le Chef ou le Roi parle d’abord au nom de Dieu et des ancêtres avant de parler au nom du peuple dont il a la charge. Nous avons souligné la partie performative de cette parole en montrant qu’elle réalise ce qu’elle dit grâce aux ancêtres. Et enfin nous avons plaidé pour un engagement des Africains eux-mêmes à prendre l’avenir de la philosophie africaine en main, d’endogéniser la philosophie pour mieux la comprendre. Quoiqu’il en soit ainsi, il faut savoir que l’art en général a l’intention de vaincre la mort, et c’est pour cela que l’art africain exprime cette perpétuelle lutte entre la vie et la mort. La victoire n’est possible que si l’Africain vit comme ses ancêtres ont vécu. C’est pourquoi dans l’esthétique de la parole en Afrique, l’éthique sera de rigueur : interdiction de mentir même dans les divertissements, ce qu’on raconte pour amuser doit édifier l’homme, l’éduquer, l’élever, telle est la volonté de Dieu. Tout l’art en général et l’esthétique de la parole en particulier doit être métaphysicalisée si elle veut être validée. Il est aussi utile afin de pérenniser la culture africaine, de se réapproprier sa pédagogie à travers ses production en ce qui concerne l’éducation. Notre intention était donc de dégager, sans crainte d’y ajouter de notre cru, l’esthétique de la parole dans la culture africaine. Nous reconnaissons notre finitude épistémique quant à l’épuisement de sa portée interprétative et nous en appelons à des esprits mieux éclairés pour hisser sa compréhension plus haut pour le rayonnement de la philosophie africaine.








BIBLIOGRAPHIE.

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MVENG Engelbert, L’Afrique dans l’Eglise : paroles d’un croyant, L’Harmattan, Paris, 1985, 228 pages.
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-VAN HOUTE G., Proverbes africains : sagesse imagée, Kinshasa, 1976, 94 pages.







[1] Cf. Actes de la 4eme semaine philosophique de Kinshasa du 23au 24 avril, Langage et philosophie, 1979, P.102.
[2] Thomas Büttner, De l’idée au texte : Guide des auteurs, Niger, Editions Alpha, 2000, P. 133.
[3] Cf. Idem.
[4] L. V. THOMAS & R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, L’Harmattan, Paris, 1992, P.50.
[5] Id, P. 48.
[6] Ibid. P. 49-50.
[7] S.C. ABEGA, Contes d’Initiation Sexuelle, Editions Clé, Yaoundé, 1995, P. 81.
[8] P. ERNY, L’enfant et son milieu en Afrique noire, L’Harmattan, Paris, 1989, P. 174-175.
[9] P. ERNY Op. Cit. P. 185-186.
[10] L-V THOMAS&R. LUNEAU, Op.cit., P. 48-49.
•Puchérique vient de pulcher en latin qui signifie beau, nous l’utilisons ici faute de mieux pour dire l’adjectif qualificatif exprimant la beauté de la beauté.
[11] B. MUZUNGU cité par M. KOUAM, Esthétique II, Beauté et vie spirituelle, essai philosophique de confrontation : Plotin, St Augustin et l’Afrique, Editions Menaibuc, Paris, 2005, P.74.
[12] M. KOUAM, Op. Cit., P.148.
[13] Id., P. 75.
•Cette expression est notre création personnelle à partir de deux mots grecs : logos parole, et therapein, soigner, guérir : c’est donc une parole qui guérit.
•Même chose Logos, parole ; thanatos, mort c’est donc une parole qui conduit à la mort.
[14] Ibid., P.52.
[15] L. V. THOMAS & R. LUNEAU, Op. Cit. P ; 52.
[16] P. ERNY, Op. Cit., P. 186.
[17] E. MVENG, L’Afrique dans l’Eglise, Paroles d’un croyant, L’Harmattan, Paris, 1985, P. 13.
* Ce concept est issu de deux mots grecs : Logos=parole et ktidzein=créer. Nous l’utilisons pour montrer que la parole crée.
[18] L.V. THOMAS&R. LUNEAU, Op. Cit.P. 47.
[19] L.S.SENGHOR, cité par L.V. THOMAS &R. LUNEAU, Op Cit. P. 48.
•Concept créé par nous, dérivant de deux mots grecs : Logos=Parole et sodzein, therapein=sauver, guérir. Nous l’utilisons pour montrer que la parole peut sauver, guérir.
[20] Actes de la 4ème semaine de philosophie de Kinshasa, Op Cit. P. 293.
[21] E. AVANS –PRITCHARD, La religion des primitifs à travers les théories des anthropologues, Paris, Payot, 1971, P. 19.
[22] M. KOUAM, Op. Cit., P.16.

LA DANSE AFRICAINE ENTRE PHYSIQUE ET METAPHYSIQUE

Par POKAM Gisèle Magloire
INTRODUCTION

La philosophie renvoie à un vaste champ de réflexion qui permet à l’homme d’explorer des domaines aussi divers que pertinents. Dans notre contexte d’esthétique dite humaniste ou spirituelle, il s’agit de nous préoccuper du phénomène homme. En effet, l’objet de la science esthétique n’étant pas évidente comme celle des autres sciences, il nous revient ici d’opérer des mouvements vers un autre visage de la question esthétique sur le plan sensible et spirituel, dans un domaine encore peu exploité qui est celui de la danse traditionnelle africaine. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, nous aimerions répondre à la question suivante : Qu’est-ce que l’esthétique ? Avec Lalande, disons que c’est ce « qui concerne le beau. (…). Science ayant pour objet le jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du beau et du laid »[1]. Elle peut être générale, ou particulière quand elle étudie les différentes formes d’arts. Ainsi, dans sa particularité, l’art au sens esthétique renvoie selon le même auteur à « toute production de la beauté par les œuvres d’un être conscient »[2].

En Afrique, le souci d’esthétique de la danse marque non seulement les ornements faits sur le corps et ses différentes chorégraphies, mais aussi par certaines de ces dernières, une certaine beauté de communion et de communication avec l’invisible. D’où l’intérêt de notre travail portant sur : L’esthétique de la danse africaine dans sa double dimension physique et métaphysique. Ce thème nous conduira à la danse comme art pour y déceler sa richesse visuelle, mystique et religieuse.

La réalisation du travail suivra une logique tripartite, avec d’une part les conceptions du monde, de l’homme et de la danse, d’autre part l’élucidation de la double dimension des danses traditionnelles africaines et l’intérêt du travail.






I- LE MONDE, L’HOMME ET LA DANSE EN AFRIQUE TRADITIONNELLE

Pour mieux comprendre l’importance que donne l’Africain à la danse, il est nécessaire de savoir quelle est sa vision du monde et de l’homme, et le rapport qui existe entre les deux. Car l’incompréhension de ces notions serait un obstacle à cette compréhension.

1- La conception africaine du monde

Qu’est-ce que le monde ? Affirmer que l’Africain croit à la réincarnation c’est reconnaître sa nature profondément animiste, c'est-à-dire sa croyance en une force vitale qui anime non seulement les êtres vivants mais aussi les éléments naturels. Ainsi, le monde c’est la terre dans tous ses aspects géographiques et c’est aussi le lieu où vivent les ancêtres, les défunts, etc. Le monde a donc une double dimension qui est d’une part visible et d’autre part invisible ; mais les deux ne font qu’un. C’est pourquoi, profondément marqué par le mythe de l’origine du monde qui part d’une graine ou plutôt d’un point afin de donner des figures géométriques, la culture africaine accorde une grande importance aux lignes courbes, aux cercles, aux spirales, aux cylindres, etc., qui reflètent à la fois les mœurs et les coutumes. Alphonse Tiérou le précise en ce sens :

« Au commencement est le point. Ce point s’étend selon une ligne courbe. Cette courbe se poursuit conformément à la loi. Cette loi maintient la courbe équidistante du point originel. Et la courbe en se prolongeant forme un cercle. Ce cercle se boucle en un point appelé sindrou, qui localise son pouvoir d’extension »[3].

Ainsi, la spiritualité africaine est symbolisée par trois cercles concentriques, chacun représentant un stade différent. Le premier, qui est aussi le plus grand, représente le monde, le village, la foule, le corps. C’est le domaine des valeurs humaines. Le second situé entre le premier et le troisième, est le domaine de l’intellect, de la recherche d’un état plus spirituel. Le dernier beaucoup plus réduit, est le symbole du monde spirituel, seuls les initiés de Masques y ont accès[4]. Cette conception du monde explique le fait de retrouver le cercle dans la danse et dans les autres aspects de la vie africaine, influencés par le milieu naturel.

· Influence du milieu sur la danse
Il a été remarqué que l’environnement influe le comportement et de façon inconsciente, l’homme adapte son mode de vie ainsi que ses danses à son milieu. C’est pourquoi l’homme des montagnes ayant une démarche prudente, vive et souple à cause du peu d’espace qu’il a pour se mouvoir, est habitué à bondir de roche en roche à l’imitation du bétail qu’il paît sur les hauteurs. Le poids de son corps est donc porté par ses orteils, le regard généralement levé vers les sommets. « Ses danses sont vivantes et alertes, elles se dansent beaucoup sur place, en hauteur ; les sauts et les bonds y sont fréquents »[5]. On y retrouve comme principaux mouvements selon Tiérou : le dooplé, le zépié, le kagnoulé et parfois le soumplé (ce sont quatre noms des dix principaux pas de danses reconnus dans toute l’Afrique. Ils sont d’origine ivoirienne). A titre d’exemple nous prenons la danse Sanhan de Côte d’Ivoire. C’est aussi le cas des danses rwandaises comme le umudiho, (qui signifie littéralement, danser en battant des pieds au rythme d’une chanson populaire), ou le imbyino (qui signifie littéralement, danser en frappant le sol des pieds au rythme d’une chanson émise par le danseur et/ou d’autres personnes) [6].

L’homme de plaine quant à lui est habituellement un paysan entouré de terres riches et plates. Les yeux baissés vers le sol qu’il exploite, il a une démarche lente et ferme, le poids de son corps est porté par la plante de pied, parfois il marche aussi sur la pointe des pieds lorsqu’il va surveiller ses pièges. L’abondance d’espace qu’il a, lui donne la possibilité d’une grande variété de danses et une certaine proximité de la terre. On y remarque un ensemble de ronds, beaucoup de déplacements, des courses, des farandoles. En fait tous les types de pas y sont ainsi que tous les mouvements de base de la danse. C’est l’exemple des danses du sud du Tchad, tel que le ndam saï des Sara qui nécessite beaucoup de mouvements et de déplacement. C’est en fait une danse de réjouissance qui réunit beaucoup de monde, même par simple plaisir, de jour comme de nuit. Elle est très présente dans la vie quotidienne et les enfants s’en exercent à tout moment dans le village.

L’homme de forêt lui, considère celle-ci comme mère nourricière, il vit de la pêche, de la chasse, de la cueillette, du ramassage dans un monde de gros arbres au feuillage touffu. Ses jambes sont habituées aux mouvements de flexion et de tension car il est souvent obligé d’avancer à quatre pattes, de se courber, de s’accroupir, de sauter les cours d’eau ou le tronc qui barre la route. « Sa démarche est donc à la fois lente alerte et prudente »[7]. Ses danses sont alors proches de la terre, à la fois vivantes et lentes, aériennes et légères. On peut l’observer chez les pygmées en Afrique centrale.

L’homme de la côte (au bord de la mer) ignore la fermeté du sol des plaines et des montagnes. Sa marche exige un effort supplémentaire à cause du terrain sablonneux, elle est particulière et difficile. Cela explique le peu de variété dans ses danses, par contre celles-ci sont plus rigoureuses, plus précises et plus affinées. Pour danser, il pose les pieds de façon plate le plus près possible, l’un après l’autre, puis il y a l’intervention du torse, des épaules et de la tête pour compléter sa danse. C’est ce qu’on remarque chez les agbaza du bénin ou de l’Essewe chez les Sawa du Cameroun. L’homme est donc toujours en interaction avec son environnement : Mais, qui est cet homme qui danse ?

2- La conception africaine de l’homme

En Afrique, contrairement au dualisme occidental, on a une vision pluraliste de la personne humaine formant une unité visible et invisible, et dont la multiplicité des éléments se situe surtout sur le plan invisible. Dans son livre intitulé La rationalité d’un discours sur les phénomènes paranormaux, le professeur Hebga qui pense que les instances de la personne sont en nombre variable selon les différentes traditions culturelles africaines, se propose d’analyser les trois instances communément admises en Afrique que sont : le corps, le souffle et l’ombre (le professeur Kouam Michel parle de pluralisme triadique)[8].
Ainsi notre réflexion nous montre que l’homme africain émerge dans une société dont l’organisation socioculturelle marque sa particularité par rapport aux autres sociétés. Avec Louis Vincent nous notons que « la notion de personne résume et cohère les idées-forces de la pensée négro-africaine traditionnelle. On y retrouve, en effet, l’exigence de pluralisme, les réseaux de participations et de correspondances qui relient le sujet au groupe et au cosmos, les dimensions verbales, le dynamisme et l’inachèvement, la richesse et la fragilité, le rôle important dévolu au milieu et la référence inévitable au sacré »[9]. Des trois instances susmentionnées, nous porterons notre attention sur le corps.

· Le corps
Le corps est un concept polysémique qui traduit la matière en physiologie et la subjectivité en psychologie. Anthropologiquement parlant en Afrique comme ailleurs dans le monde, le corps est cette réalité qui permet à l’homme d’être dans le monde, d’entrer en contact avec les choses et autrui. Il permet à l’individu de percevoir, de réfléchir, d’éprouver des sensations, des sentiments. C’est dans cette même logique que Merleau Ponty fait la différence entre le corps matériel (korper) et le corps humain ou corps propre (leib) définit comme « un système de puissances motrices ou de puissances perceptives dans la mesure où notre corps n’est pas un objet pour un je pense mais un ensemble de significations qui va vers son équilibre »[10].
Le corps est cette réalité humaine animée par l’âme qui est en même temps un moyen qui permet à l’individu d’exister, d’être présent dans le monde, d’appréhender les choses et de les toucher, de faire l’expérience avec la réalité sensible et l’altérité. Le corps est l’expressivité de l’âme d’où l’indissociabilité qui existe entre ces deux dimensions humaines. Les sociétés traditionnelles africaines savent s’en servir de façon symbolique par des rituels d’entrée en communication avec Dieu. C’est un objet en mouvement qui fait partie à la fois du visible et de l’invisible. Dès lors, « toute la philosophie du corps, comme le remarque Claude Bruaire, est inévitablement liée à une métaphysique précise, qui constitue ses prémisses nécessaires »[11]. Cette métaphysique dans le cas de l’Afrique passe aussi par la danse qui représente également un véritable rapport avec la nature. Le corps est l’instrument même de la danse qui permet de retrouver un contact direct avec la nature, source d’inspiration. On retrouve ici une des idées anciennes selon laquelle l’art se borne à imiter la nature par l’habileté de l’homme. Or, comme le souligne si bien Hegel, l’imitation ne procure qu’une joie relative. C’est pourquoi, « l’homme montre mieux son habileté dans des productions surgissant de l’esprit qu’en imitant la nature »[12]. C’est ce que fait l’Africain quand il embellit son corps pour les circonstances.

· L’embellissement du corps pour la danse
Les africains ont une façon spécifique de se présenter pour la danse qui exige tout un art de décoration corporelle. La beauté du corps est d’ailleurs un fait purement humain pour le plaisir des yeux ou pour faciliter le contact avec l’invisible. Dans les départements du moyen chari ou dans le mandoul au sud du Tchad, les danseurs se présentent différemment selon les évènements. Les outils généralement utilisés sont : le chapeau de paille, les perles, la jupe de raphia, ceinture en fer (bruyant), bracelets, peau de bêtes, argile, kaolin, boucles sonores pour les pieds. Le danseur apparaît dans une esthétique remarquable.
Dans la danse tsô de la société kuosi chez les bamiléké du Cameroun qui est danse rituelle, les vêtements amples, la cagoule brodées de perles avec des dessins d’animaux, des peaux de panthère, le chasse-mouche en queue de cheval, des calebasses brodées de perles, des sièges, des statues sont les objets décoratifs des danseurs. En fait, le kuosi est la société la plus ancienne des populations bamiléké qui signifie : « qui sort de terre » ou « issu de Dieu » Elle n’est réservée qu’à la famille royale, les notables et toute personne aisée capable de payer le droit d’entrée très lourd exigé. Lors de la cérémonie présidée par les ancêtres, les musiciens sont cachés dans une chambre dont les gardes veillent autour. Seuls les princes ont droit au port de la peau de panthère[13]. Cela nous mène à remarquer que « le beau est un fait humain qui ne se laisse pas changer ; le corps en quelque sorte le reconnaît par cette attitude imitative dont le sentiment nous avertit assez »[14]. Certaines danses se font toujours masquées. Mais les masques nous montrent en dehors de leur valeur spirituelle et culturelle que « l’art n’est pas que la représentation du beau »[15] car les masques africain

Le corps est le siège de tous les éléments spirituels où les valeurs religieuses et culturelles sont représentées par des tatouages et des produits divers comme le kaolin, la cendre, etc. La danse est un art corporel, où parfois il n’y a pas de signification propre au mouvement opéré.

3- La danse africaine

Peut-on préciser l’époque à laquelle l’être humain a commencé à danser ? Il nous semble impossible. Mais le caractère spontané du mouvement expressif, de la danse, son universalité et son lien intime avec les autres aspects de différentes cultures, inspire la probabilité selon laquelle le développement de la danse est une conséquence de l’évolution de l’espèce humaine. On danse chez tous les peuples, la danse est donc un besoin de l’homme d’exprimer non seulement ses sentiments, mais aussi comme le souligne Alphonse Tiérou, d’exprimer « ses aspirations vers le beau et le bien, parce que ces sentiments sont parfois trop spiritualisés pour les traduire par les mots »[16].
Pour mieux comprendre la danse africaine commençons par répondre à la question : qu’est-ce que la danse ? La danse est une suite de pas et de mouvements rythmés qu’une personne ou un groupe de personnes exécutent sous le déroulement d’un air de musique ou d’un chant. D’après Tiérou, « danser, c’est éprouver et exprimer avec le maximum d’intensité le rapport de l’homme avec l’espace, avec la société, avec l’infini »[17]. Elle révèle les mouvements de l’esprit par de doux mouvements harmonieux du corps ; c’est une manière d’exister par la participation et la célébration. La danse est une composante majeure de la culture africaine qui repose sur la notion de cercle, considéré comme symbole de vie temporelle et spirituelle. Généralement les danseurs se disposent en cercle ou en arc de cercle, de même que les spectateurs qui se mettent autour d’eux. Il existe trois types de cercles. Le professeur Tiérou note que « le danseur a besoin du large cercle des villageois qui le portent et l’assistent, l’aidant à se surpasser pour atteindre le troisième cercle et transmettre ce message »[18], qui vient des ancêtres.
Prenons en exemple la ivoirienne Sanhan ou « cercle de Lumières » qui représente un symbole spirituel et initiatique. Elle se passe dans la nuit jusqu’à l’aube, les initiés utilisent un langage secret, des sons et des voix particulières, des flammes, etc. Tout se passe dans trois cercles, le premier comprend sept danseurs, le second quatorze et le troisième vingt et un. Plusieurs paramètres entrent en jeux dans cette cérémonie[19]. Le rôle spirituel du cercle est donc une des origines sacrées de la danse africaine. Il est important de noter, puisque nous parlons de cercle, que la courbe et les ronds sont des critères de beauté en Afrique, de même que les parties du corps sont aussi des critères pour évaluer charme et beauté : il s’agit outre le visage, du cou, des seins, du ventre, des jambes et des fesses qui permettent de se mettre au rythme de la nature.
Les danses africaines peuvent être regroupées en trois sortes principales : les danses profanes pratiquées dans l’enfance, la puberté, l’age adulte, lors d’une naissance, la circoncision, le mariage, les funérailles et d’autres occasions ; Les danses rituelles qui ont un caractère religieux, sont pratiquées dans les cérémonies initiatiques, avec les masques dont le but est de favoriser le contact avec l’invisible ; Les danses de castes comme les forgerons, les griots, etc.
La danse africaine est la manifestation parfaite du cou et du zou. Elle participe à la communion et à la communication des joies et des douleurs. Allant de pairs avec le rythme, c’est à celui-ci que la danse tire sa puissance. Car il favorise le travail, contraint à l’apparition d’un dieu, à sa présence ou à sa proximité et à son écoute.

· Le rythme et la danse
Serge Lifar dans son livre intitulé Le livre de la danse, fait l’éloge du rythme : « A l’origine était le rythme, dit-il[20], le rythme binaire, puisque tout ce qui constitue et maintient la vie est une succession de contrastes, de temps forts et temps faibles, de positifs et négatifs : le jour et la nuit, les marées, les battements du cœurs… »[21]. Ainsi par le rythme qui est d’une grande utilité en Afrique, l’homme est appelé à communier avec le monde extérieur en cherchant à l’exprimer avec son corps.
Grâce aux différents instruments de musique que sont : tam-tam, flûtes, balafons, mvets, koras, cors, guitares, tambours, calebasses, harpes, maracasses…, les africains ont du rythme nécessaire pour accompagner les différentes danses selon les circonstances spécifiques. En effet, le rythme ou la musique va toujours de pair avec la danse. « Le tam-tam, dont les variétés en font à lui tout seul un véritable orchestre, est vraiment le catalyseur de l’âme collective du village africain »[22]. Le ndam saï tchadien une fois de plus est un exemple révélateur, ici, entourés des danseurs en cercle ou demi-cercle, les batteurs révèlent une grande aptitude éveillant un joyeux sentiment collectif. Il en est de même pour le Zoua ivoirien, qui est exécuté pendant les fêtes ou le soir au clair de lune, les jours de marché aussi. Les chants et le tam-tam battu avec deux baguettes accompagnent l’ambiance et contribuent à l’harmonie de la danse. Chez les Bamoun du Cameroun, la danse ngouen ou le mendoun ngbala, se fait avec les pieds, les reins, les bras, à l’occasion des réjouissances, mariages et au village le soir et parfois pour l’accueil des hôtes

C’est un instrument fait de tronc d’arbre évidé, de peau de bête (l’antilope ou vulgairement de nos jours la chèvre) et de corde synthétique pour faire tenir la peau sur l’un ou sur les deux cotés du bois. Les rythmes et les danses varient d’une ethnie ou d’un pays à un autre. La danse n‘est pas un spectacle, mais une technique de participation de tous, dynamisée par le rythme instrumental ou simplement par le claquement des mains. Pour Ki-zerbo, les différents types de danses sont : « Des danses religieuses d’envoûtement, des danses de chasseurs, de cultivateurs avant ou après les cultures, des danses pour les femmes selon leur âge et leur condition, des danses pour lutteurs victorieux, pour les funérailles des vieillards, pour les circoncis, etc. »[23]. Durant la danse, chacun communie à sa manière, certains préfèrent chanter, d’autres battre les mains, ou animer autrement par des cris et des gestes.

· Les types gestuels
Les types de gestuels renvoient aux mouvements répétitifs, individuels ou collectifs. Pour le professeur Tchimou, « tout mouvement du corps se caractérise par l’association de trois éléments fondamentaux : la partie du corps en mouvement ; la direction dans laquelle il s’effectue ; le niveau d’action et la durée du mouvement »[24]. Le corps agit comme dans une sphère. Les différentes parties sont réparties selon l’ordre du corps humain : la tête, le tronc, les membres supérieurs et les membres inférieurs, puis il y a le devant et le derrière comme deux faces d’une monnaie, pile et face, enfin le coté gauche et le coté droit. « La danse sous ses différents aspects chorégraphiques est une forme d’expression qui, comme le langage verbal énigmatique, est compris par des initiés ».[25] Nombreux peuples d’Afrique, en effet, se sont toujours servi des rythmes et des danses chargés de symboles pour donner des explications à certains phénomènes de la création. C’est l’exemple de la danse du Sigui qui est un rituel soixantenaire du Mali, et qui représente les éléments constitutifs de la parole : l’air, l’eau, la terre et le feu.

Le manque d’improvisation dans l’œuvre d’art africain n’a pas d’intérêt. Mais il faut d’abord connaître pour inventer. La danse en Afrique repose donc à la fois sur la répétition des mouvements de base et l’improvisation autour de ces mouvements. La capacité d’innover révèle l’aptitude du danseur à associer rythme et mouvements, style et perception de l’espace. Mais tout cela s’acquiert par l’habitude de danser qui favorise la maîtrise des mouvements de base surtout quand on aime danser. La danse développe le sens du rythme, conduit au bon équilibre entre physique et intellect, et réveille l’esprit d’initiative et d’invention.


II- LA DOUBLE DIMENSION DES DANSES AFRICAINES

A travers la danse, les africains ont su concilier la vie dans sa double dimension physique et métaphysique. En effet, naturellement religieux, ils ont plusieurs manières d’entrer en contact avec le divin et l’une de ces manières privilégiées est la danse accompagnée soit de chants, soit de musique ou de rythme spécifique.

1- La dimension physique de la danse africaine

La danse est un moyen de transmission des idées et des émotions, ses effets vont au-delà des simples plaisirs corporels. Elle est révélatrice d’un sentiment d’unité à un groupe donné qui est animé par un même rythme et les même mouvements, et peut aboutir à un état de transe favorisant des exploits comme danser sur des braises.
A considérer les activités quotidiennes de l’Afrique traditionnelle (travaux agricoles, la pêche, la chasse, etc.), nous sommes portés à dire que le travail serait une source physique de la danse. En fait, ce sont les activités de groupe où l’on chante et esquisse des gestes spontanées, ainsi en travaillant on engendre des danses. La transmission des connaissances par l’oralité peut aussi être une des origines, formant à la suite des contes, mythes, épopées, etc., des chants qui par suite s’accompagnent de mouvements du corps, de la danse.
« Le cou est le terme qui défini le corps du danseur lorsqu’il exécute la danse ; c’est la partie manifestée de la danse »[26]. Le corps déborde de joie et de vitalité, tremble, vibre, rayonne, il est chargé d’émotion. L’africain n’a pas de complexe de ce qu’il est pour danser, qu’il soit gros, mince, petit ou grand de taille. Les émotions favorisent la collaboration avec l’irrationnel qui est le vrai langage du corps qui devient magnétique. La beauté et la lumière divine qui émanent du danseur l’illuminent et se propagent autour de lui communiquant un certain calme, une certaine paix, ainsi qu’une harmonie. La danse physique et surtout profane, est en même temps une distraction, un amusement, un défoulement, un divertissement. C’est le carrefour des contacts, combattant l’isolement. Généralement les danses profanes se déroulent en plein jour, du matin à la tombée de la nuit et même dans la nuit. On relève des critères esthétiques essentiels ainsi que le rôle que jouent les femmes dans ces cérémonies.
« Le zou est la partie abstraite, conceptuelle de la danse »[27]. Il englobe la volonté du danseur de danser, la liberté qu’il a de faire ou de refuser, ses émotions et ses sensations et les divers aspects involontaires du corps.
La danse rythme les grands évènements de l’existence, facilite les échanges et les rencontres. C’est un moyen de communication entre les êtres qui permet d’exprimer les émotions et les sentiments. On danse à l’annonce d’une naissance, au mariage, aux funérailles, au clair de lune, après un succès. C’est le cas des danses de fin d’initiation, à l’exemple du ndam ndo (pour les garçons) ou ndo banyan (pour les filles) chez les Sara du Tchad où on célèbre la victoire de la vie sur la mort. On se réjouit d’avoir vaincu les épreuves initiatiques. Dans les deux cas, les néophytes ont le corps recouvert d’huile de karité et orné de perles couvrant le visage, ou en transversal sur la poitrine, etc., ils dansent au moins pendant un mois. Dans le passé, le ndo banyan était une danse que les jeunes filles exécutaient pour introduire la jeune mariée dans son foyer, on le dansait aussi quand le kor-mbege[28] devait sortir. Quant au ndam ndo, elle peut constituer aussi une séance de bénédiction sollicitée par une des personnes d’un des nouveaux initiés. Il s’agit en fait de donner quelques coups de fouet avec le bâton de danse après que la victime ait donné une certaine somme.
Les effets dynamisants de la danse sont beaucoup plus bénéfiques au niveau physique, car elle fait bouger le corps et entretient ainsi toutes les articulations. Les danses traditionnelles africaines ont aussi la spécificité d’englober tout l’univers. On peut aussi danser pour le plaisir et la satisfaction esthétique. On le remarque dans le Mindé gouleï de Goundi, qui est toujours une spécificité Sara, dansée de façon mixte, où le demi cercle formé par un partenaire est complété par l’autre avec une esthétique gestuelle assez captivante. Mais dans sa double dimension du monde, l’africain sait aussi que par la danse dite rituelle, il peut entrer en contact avec l’invisible.


2- La dimension métaphysique de la danse africaine : lieu de l’extase et de la communion spirituelle.

Considérée comme art du mouvement, la danse a un point commun avec la métaphysique qui est le premier principe du mouvement. Saint Thomas à la fin du Moyen âge, définit la métaphysique comme ce « qui dépasse le réel empirique pour accéder à la connaissance des réalités divines et transcendantes »[29].
Dans le cadre de l’Afrique, nous aimerions mieux comprendre la dimension métaphysique de la danse africaine à travers le terme de la mystique que le dictionnaire de philosophie présente comme synonyme au mysticisme. En effet, « le mysticisme est une attitude ou doctrine selon laquelle il existe un ordre de réalités surnaturelles qui ne peuvent être atteintes que par une intuition étrangère à l’expérience sensible et à la connaissance rationnelle »[30]. Tandis que le terme « mystique correspond à tout ce qui concerne le mysticisme, et plus particulièrement à un type de pensée, la « pensée mystique » qui, chez Lévy-Bruhl, est propre aux sociétés primitives et fondée sur « la croyance à des forces, des influences, des actions imperceptibles aux sens et cependant réelles »[31]. Le mystère dans l’Antiquité égyptienne était « une connaissance spéciale, une sagesse secrète »[32] acquise dans des écoles dites de mystère. Le mysticisme est donc « une gnose (…) C’est la recherche de la vérité et des valeurs éternelles » (…) le mystique est un être objectif, responsable, réaliste, stable, constant »[33].

L’homme est naturellement lié à Dieu. Les origines mystique et sacrées reposent donc sur la conception divine de l’homme du soleil (l’Africain) et se manifeste par les mouvements corporels. Notons que le balancement du corps se trouvait déjà dans les anciens temples d’Egypte durant les cérémonies religieuses. Cela montre que la danse africaine trouve ses racines dans l’homme et dans l’univers c'est-à-dire dans toute situation de la vie ayant une origine extérieure ou intérieure. Et « la libération de la vie par le mouvement se manifeste dans l’or du soleil couchant, dans le magnifique tapis étincelant de langue de feu qui constitue un ciel étoilé… »[34]. Rechercher les origines sacrées de la danse africaine revient à considérer son aspect symbolique, spirituel et mystique de la réalité. Le symbole marque des enseignements représentant la réalité présente et future, sous forme de géométrie dont la plus haute représentation est le cercle. Raison pour laquelle les danseurs se placent généralement en cercle.

L’accès à la vie mystique en Afrique, peut se faire par plusieurs voies qui sont la prière, l’initiation, les possessions et la danse. Dans le cas de l’initiation ou des possessions la transe conduit généralement à la danse. Pour Alphonse Tiérou, « Sur le continent du soleil, la danse n’est pas seulement un art qui permet à l’âme de s’exprimer en mouvement, mais c’est encore une conception de la vie plus simple, plus harmonieuse, plus naturelle, plus humaine »[35]. Le contact spirituel avec les être transcendants se manifeste dans le corps, qui permet à l’âme de s’exprimer :

« La danse montre de façon élégante que le physique et le spirituel sont deux aspects d’une même réalité et que se sont les pseudo-mystiques qui s’évertuent à dénigrer le coté physique de leur être, au point d’en abuser dans leurs efforts pour atteindre l’équivalence ultime de la personnalité de l’âme[36].

Les mouvements du corps n’empêchent pas le recueillement ou la possibilité à l’âme de transcender vers les plans supérieurs. La danse, à travers les mouvements physiques favorise le mouvement de l’intérieur vers l’extérieur[37]. La répétition conduit de plus en plus à l’ivresse et le danseur sent croître ses forces. L’Africain montre donc son désir de transcender avec son corps lorsqu’il danse. Ainsi la danse conduit facilement à l’extase.
Les danses de communion avec les forces cosmiques sont généralement dotées de vivacité et de gaieté avec des rythmes correspondants qui marque la conquête, le combat, la liberté et l’indépendance. La transe est un phénomène qui peut se produire avant, pendant ou après la danse. Ce n’est pas son but ultime : « les garants de la civilisation orale font appel à la transe pour des raisons initiatiques et quelquefois thérapeutiques (traitement de certaines maladies mentales »[38]. C’est pourquoi, les danses rituelles sont accessibles aux seules initiées. « Elles ont alors davantage une fonction d’initiation, d’apprentissage de la vie ou d’un culte spécifique. Elles ont comme but d’amener le ou les danseurs à communier avec Dieu par l’harmonisation de son corps et de son esprit »[39]. Ces danses se déroulent à des époques déterminées, fixées par le calendrier rituel et dans un lieu précis. L’aspect symbolique et l’aspect spirituel sont liés à une identité culturelle et à un contexte ethnographique. Généralement pour atteindre le divin les africains passent par des médiateurs que sont les ancêtres et qui sont comme des véhiculent appropriés pour transporter jusqu’à lui les doléances et les louanges des hommes.

La danse rituelle est habituellement une danse masquée, c’est ce qui fait qualifier l’Afrique de continent des masques. Le rôle du masque n’est pas seulement à cacher le visage, mais aussi à représenter un autre être, qui est une force naturel d’origine divine, un guérisseur, un esprit, un ancêtre qui vient bénir ou punir. En effet, c’est aussi un moyen d’honorer les ancêtres, ou de s’attirer les faveurs divines. La danse est donc un chemin spirituel, car les danses rituelles ont pour but d’amener le danseur à communier avec Dieu par l’harmonisation de son corps et de son esprit.
Prenons l’exemple du ndo kla des Sara de Bédaya du Tchad. La danse se passe autour du Balafon, tam-tam, tambour, les flûtes. Le costume est constitué de chapeau de paille, perles, jupe de raphia, ceinture en fer, etc. Le ndo kla est une danse mystique ou rituelle réservée à un groupe restreint d’initiés, notamment les notables du chef. C’est une danse cérémonielle qui se danse pour demander la bénédiction de Dieu à travers les ancêtres afin d’obtenir la pluie pour les semailles. Les rites durent trois jours. Tout commence par la chasse (ou la pêche) du chef et de ses notables, chasse qui a pour but d’apaiser les esprits et demander le okey des ancêtres. Ceux-là restent attentifs à tous les signes susceptibles d’interprétation. Par exemple si un certain animal traverse la route devant eux, cela peut être un bon ou un mauvais signe, etc. Pendant ces trois jours toute la population est en communion spirituelle avec ceux qui font les rites. On garde un grand calme au village, et il est interdit de faire le feu, donc de cuisiner pendant que les rites se font dans la brousse. Cette cérémonie marque aussi la puissance du roi. Après la sortie de brousse, les initiés esquissent le ndo kla avec une dextérité admirable pour rendre grâce à Dieu et remercier les ancêtres pour leur bonté. Les danseurs sont dotés d’un bâton à la main, décorés de colliers au cou, aux reins, jupe de raphia. Le rythme est maintenu par le tam-tam.

Quant au ndo tei de Bémoli dans la même région, elle est réservée aux initiés et met en exergue les pieds et la poitrine. Bâton ou coupe-coupe traditionnel, manche de houe ou encore faucille à main, peau de chèvre comme cache sexe, colliers au cou et à la poitrine, tête ornée de plume d’oiseau, yeux ornés de caolin rouge sous forme de lunette, plein de boucles bruyantes aux pieds, corps oint d’huile de karité, les initiés esquissent des pas très spéciaux battant le sol à pied alterné et par moment mettent en relief les fesses. En demi cercle, les danseurs forment un mouvement circulaire et de temps en temps, forment de petits groupes de trois, tendent les bâtons vers l’horizon. Le ndo teï a une chorégraphie très esthétique, mais sa dimension métaphysique demeure un mystère pour les profanes.
On se rend compte qu’en Afrique traditionnelle la danse a une importance capitale tant sur le plan physique que métaphysique. Et, « parler en meme temps du langage métaphysique et existentiel revient à tenir un discours sur l’interaction entre les vivants et les morts : le monde du bien, beau et celui des biens et des beautés évanescentes»[40].




INTERET DU TRAVAIL

la danse africaine a beaucoup d’effets positifs tant sur le plan individuel que social, elle favorise et crée des échanges interindividuels étant donné qu’elle se pratique souvent en groupe. C’est donc un facteur d’unité, qui révèle un mode de vie centré sur le corps. Elle contribue à l’épanouissement et au développement de la personne et permet l’apprentissage de l’écoute de soi, éveille, libère, donne forme à la pensée et aux sentiments. Elle fait ainsi le lien entre le dehors et le dedans, l’esprit et le corps et a un rôle de socialisation. Dans ses nombreux bienfaits, elle essaie de réconcilier la tête et le corps, la pensée et l’instinct à travers la libération du geste et l’abandon au rythme tout en constituant « une démarche qui conduit l’homme au plus profond de lui-même, à la découverte de ses qualités latentes, à l’épanouissement de sa personnalité, à la fois sur le plan physique, intellectuel, social, thérapeutique et spirituel »[41].
Sur le plan physique, Maurice Béjart pense que « la danse est un sport (complet) »[42] car elle engage le corps, le cœur et l’esprit. En Afrique, elle implique vraiment toutes les parties du corps, les rendant assez souples et équilibrées, exigeant comme dans les autres disciplines sportives le dépassement de soi, la résistance, l’effort soutenu, la ténacité, la persévérance, la constance et la concentration. Généralement en Afrique les soirs dans les villages sont réservés à la danse qui est une éducation physique favorable pour mieux reprendre les activités le lendemain. Mais, toute occasion est aussi bonne pour en pratiquer. Ce n’est donc pas à tort qu’Alain n’affirme que « la danse est une école de société », et non un passe temps, mais un moyen de vie, d’éducation, de culture. C’est un bonheur de société qui ne s’use pas.
La danse a aussi un rôle thérapeutique :

« En Afrique la médecine, bien qu’intimement mêlé à la philosophie, à la religion, à l’astrologie, à la géomancie, comme la médecine égyptienne, chinoise, arabe, indienne, babylonienne et occidentale (jusqu’au XVIIè siècle), se compose de deux parties bien distinctes »[43].

L’une est traditionnelle et concerne un ensemble de connaissances transmises d’une génération à l’autre, au sujet des vertus animales, minérales, ou végétales. L’autre est spirituelle, c’est une thérapie dans laquelle la danse occupe une place de choix.

Comme les autres arts, elle est une école de création soumise à la règle d’or de la répétition et a en général un rapport direct dans l’histoire avec les autres arts comme la musique, la sculpture, etc. l’art devient ici le maître du corps. Il est généralement conçu que le langage biologique ne fait pas penser, mais seulement agir comme des oiseaux qui s’envolent. Pourtant « dans la danse, au contraire, l’imagination trouve le seul objet qui lui donne existence, et qui est le mouvement du corps humain »[44]. Nous découvrons aussi que l’esthétique de la danse nous donne des lieux où se manifeste les phénomènes paranormaux, d’où l’importance de la fonction thérapeutique de la danse. Celle-ci est l’utilisation de l’art de la danse dans un but curatif ou préventif. Elle favorise le regard et l’acceptation de soi, et a une grande puissance, puisqu’elle permet beaucoup, elle est déliante et apaisante.

On se rend compte que dans le vécu, l’histoire, la culture, le milieu social en Afrique, la danse procure un plaisir libératoire des contraintes morales, sociales, et religieuses. Etant pratiqué en groupe, elle facilite la communication, l’intégration sociale, ainsi dans sa pluralité de sens c’est un état d’esprit qui permet de communiquer avec les éléments cosmiques dans un langage compréhensible et universel. C’est un mode d’expression populaire qui parle à tout le monde, elle a un caractère dynamisant, festif, ludique, enthousiaste, jubilatoire et concerne toutes les classes sociales. C’est un « loisir intelligent ». On claque les mains, mime les guerriers, les chasseurs, les pécheurs, etc.[45]. Alphonse Tiérou a bien raison lorsqu’il intitule son : La danse africaine c’est la vie, car la danse en effet, est en Afrique une véritable école de vie qui touche tous les aspects de l’homme, les chants qui l’accompagnent sont souvent riches de sens et d’interpellation.




CONCLUSION

Dans les sociétés traditionnelles africaines les évènements sont considérés comme l’affaire de tous. Chaque pays d’Afrique s’appuie sur une gestuel, une rythmique différente pour exprimer des choses essentielles, c’est pourquoi les danses sont aussi diverses que les régions, les ethnies.

Pour l’homme africain, toute activité ou manifestation est un acte comportant une signification car « tisser, cultiver, c’est participer à la création qui obéit à des lois surnaturelles. Danser, chanter, sculpter, c’est accomplir un rite dont le geste, le mouvement est symbole »[46]. En effet, les manifestations extérieures sont des représentations du monde invisible qui devient visible à celui qui détient la clé de la lecture ou de l’interprétation.

La danse est le mouvement par lequel le corps exprime les sentiments les plus profonds et les plus spirituels de la personne. Avant d’être une œuvre d’art ou un loisir, elle est d’abord une célébration et en même temps une démonstration de l’harmonie qui doit régner dans la société. Pendant une séance de danse, on constate souvent une amalgame de personne : hommes, femmes, adultes, jeunes, enfants, chacun y trouve sa place. Dans la plupart des danses ; observateurs et danseurs sont tous regroupés en cercle. L’observateur participe à la danse en tapant les mains de façon rythmée ou en chantant lui aussi. Instruments de musique, acclamations, bruits de mains et chants s’harmonisent et l’élément essentiel de tout cela est le corps humain. Mais, l’identité individuelle disparaît pour faire place à celle du groupe. On s’abstrait de ce groupe de corps visible charnel pour se représenter un corps social en harmonie[47]. La danse africaine est un beau sensible et spirituel qui est parfois magico-religieux.




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- Babette, mémoire sur la danse africaine phénomène de mode ? http://www.danse-africaine.net/document_texte/memoire_danse.php#haut, 15 Avril 2010.
- http://etudesafricaines.revues.org/index5907.html.
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[1] A Lalande., vocabulaire technique et critique de la philosophie, vol 1, a-m, P.U.F., paris, 1997, p. 302.
[2] Idem, p. 80.
[3] A. Tiérou, Dooplé. Loi éternelle de la danse africaine, Paris, Maisonneuve et Larose, 1989, p. 49.
[4]Cf. Idem, p. 50.
[5] Ibid., p. 37.
[6] H. Dumas, « Nkulikiyinka, Jean-Baptiste. – Introduction à la danse rwandaise traditionnelle », Cahiers d'études africaines, 181 2006, [En ligne], mis en ligne le 13 avril 2006. URL : http://etudesafricaines.revues.org/index5907.html. Consulté le 18 avril 2010.

[7] A. Tiérou, Dooplé. Loi éternelle de la danse africaine, op.cit, p. 38.
[8] F. Eboussi Boulaga (sous la dir.), La dialectique de la foi et de la raison. Hommage à Pierre Meinrad Hebga, Yaoundé, Editions Terroirs, 2007, p. 123.
[9]THOMAS L. V., Terre africaine et ses religions, Larousse, université, série anthropologie, sciences humaines et sociale, Paris, 1975, p. 27.
[10] M.M. Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Librairie Gallimard, 1945, p. 90.
[11] J. M. Brohm, in encyclopédie philosophique universelle, tome 1, philosophies du corps : quel corps ?, Paris, P.U.F., 1989, p. 397.
[12] G. W. F. Hegel, Introduction à l’esthétique I Le beau, (Trad. S. jankélévitch), Paris, Flammarion, 1979, p. 36.
[13] Cf. Collectif, Les danses du Cameroun, N°1, Yaoundé,
[14] Alain, Propos sur l’esthétique, Paris, P.U.F., 5°édition, 1975, p.80.
[15] M. Kouam, Esthétique II. Beauté et vie sprituelle. Essai philosophique de confrontation : Plotin, St Augustin et l’Afrique, Paris, Menaibuc, 2005, P. 40.
[16] A. Tiérou, La danse africaine c’est la vie, Paris, Maisonneuve et Larose, 1983, p. 12.
[17] Idem, p. 9.
[18] A. Tiérou, Dooplé, loi éternelle de la danse africaine, op.ci.t, p. 15.
[19] Cf. A. Tiérou, La danse africaine c’est la vie, op.cit., p. 20.
[20] Cf. idem, p. 97.
[21] S. Lifar cité par Azombo-Menda et P. Meyongo, Précis de philosophie pour l’Afrique, Paris, Nathan Afrique, 1981, p. 10.
[22] J. ki-zerbo cité par S. Azombo-Menda et P. Meyongo, idem, p. 106.
[23] Idem, p. 107.
[24]F.-K. Tchimou, Langage de la danse chez les Dogons, Paris, l’Harmattan, 1995, p. 72.
[25] Idem, p. 91.
[26]A. Tiérou, Dooplé. Loi éternelle de la danse africaine, op.cit, p. 23.
[27] Idem, p. 24.
[28] Chez les Sara, c’est la femme destinée à préparer les fétiches de bénédiction du chef lors d’une cérémonie particulière.
[29] G. Durozoi et A. Roussel, Dictionnaire de philosophie, Paris, Nathan, 1997, p. 258.
[30] Idem, p. 267.
[31] Ibid.
[32] A. Tiérou, La danse africaine c’est la vie, op.cit., p. 31.
[33] Idem
[34] Ibid., p. 15.
[35] Ibid., p. 9.
[36] Ibid., p. 34.
[37] Ibid., p. 21.
[38] Ibid., p.71.
[39] Babette, mémoire sur la danse africaine phénomène de mode ? http://www.danse-africaine.net/document_texte/memoire_danse.php#haut, 15 Avril 2010.

[40] M. Kouam, Esthétique II. Beauté et vie sprituelle. Essai philosophique de confrontation : Plotin, St Augustin et l’Afrique, Paris, Menaibuc, 2005, p. 97.
[41] A. Tiérou, La danse africaine c’est la vie, op.cit., p. 40.
[42] Idem.
[43] Ibid., p. 61.
[44] Alain, Les idées et les âges, (vol. 2), Paris, Gallimard, 1927, p. 32.
[45]Cf. Babette, mémoire sur la danse africaine phénomène de mode ? http://www.danse-africaine.net/document_texte/memoire_danse.php#haut, 15 Avril 2010.
[46] J. BRUYAS, Les sociétés traditionnelles de l’Afrique noire, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 19.
[47] C. Pairault, Boum – le – grand village d’Iro, Paris, Institut d’Ethnologie, 1966, pp. 314 – 317.